MILLE ET UNE NUITS

 


 Création le 22 août 2021

René Rizqallah Khawam, né en 1917 à Alep, en Syrie, et mort à Paris le 22 mars 2004, est un traducteur français de textes arabes. Né dans une famille chrétienne de Syrie, René Khawam étudie le français chez les Frères maristes avant d'émigrer en France au moment de la Seconde Guerre mondiale. Il entame dès lors une tâche d'infatigable traducteur de textes religieux et littéraires arabes, en particulier le Coran et Les Mille et Une Nuits. Il y consacre ses quarante dernières années, travaillant à partir d'une douzaine de manuscrits anciens, et réalisant l'édition la plus remarquable, depuis la popularisation de l'œuvre par Antoine Galland au tout début du XVIIIe siècle.

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Parue dans les années 1960, puis entièrement refondue en 1986, la traduction de René R. Khawam se fonde sur une douzaine de manuscrits anciens. Le traducteur s'attache à restituer le registre du discours, tantôt élégiaque, tantôt trivial, et donne à lire les poèmes qui émaillent la trame du récit. Les aventures d'Aladin, de Sinbad et d'Ali-Baba n'apparaissent pas dans son édition : Galland étant en effet le principal responsable de leur adjonction, il préfère traduire et publier ces œuvres dans des volumes distincts. Par ailleurs, s'il exploite le manuscrit de Galland, il développe les descriptions érotiques que ce dernier avait éludées (en accord avec les mœurs de la cour de Louis XIV) sans toutefois tomber dans les excès qu'il reproche à Mardrus En outre, il laisse de côté le discours moralisateur des Mille et Une Nuits, absent des textes originaux et provenant d'ajouts anonymes intégrés à l'édition arabe de Boulaq parue en 1835, sur laquelle Mardrus avait établi sa propre traduction. 

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Premier sujet d’étonnement : mille et une nuit en arabe veut dire "beaucoup", un peu comme on dit "les 400 coups". Chéhérazade n’a pas raconté mille et une histoire, mais le nombre qui lui convenait pour aboutir à son projet !

 

LA TISSERANDE DES NUITS

On raconte qu’il y avait autrefois dans l’Empire des Sassanides (Dynastie nationale iranienne, originaire du Fars) deux rois frères, qui régnaient sur les îles de l’Inde et de la Chine intérieure. L’aîné, un conquérant invincible, Chahriyâr, a soumis tous les pays environnants pendant dix ans.

Un jour il a envie de revoir son frère Chahzamane. Il envoie donc son Vizir le voir à Samarqand avec l’invitation de le retrouver. Le jour J, Chahmane fait ses adieux à son épouse : il la trouve endormie à côté de l’un des adolescents préposés au service des cuisines. Une violente colère s’empare de lui : il tue les deux amants. Puis il part vers le pays de Chahriyâr.  Celui-ci l’installe dans le palais destiné aux invités de marque, mais il voit de jour en jour son frère perdre sa belle mine, et pense qu’il a le mal du pays. Il le comble de cadeaux, mais Chahzamane se consume de chagrin.



Tout à coup, Chahsamane voit, par la fenêtre, l’épouse de Chahriyâr sortir de la porte secrète du palais de son frère. Elle est accompagnée d’une vingtaine de servantes. Toutes quittent leurs vêtements : la moitié d’entre elles sont des esclaves noirs du sexe fort ! À cette vue, il se console de sa propre mésaventure. Lorsque Chahriyâr revient de la chasse, il trouve son frère tout regaillardi. Stupéfait, il demande à son frère :
- Ô mon frère, je voudrais que tu m’aides à dissiper un souci qui m’importune. Réponds en toute franchise à la question que je vais te poser.
- Que désires-tu savoir, ô mon frère ?
- Je te voyais jusque-là dans un état lamentable. Je m’étais gardé de t’importuner … Lorsque je suis revenu de la chasse, je t’ai trouvé dans un état bien meilleur. J’aimerais que tu m’expliques ce qui t’est advenu, la cause du spectaculaire rétablissement de tes forces… Ne me caches rien.
- Pour ce qui est la cause du rétablissement de ma santé, je puis le faire. Je souhaite que tu me dispenses de répondre  à la seconde question.


Alors Chahzamane lui fait part de l’histoire complète de l’infortune dans laquelle son épouse l’a entrainé. Pour la deuxième question, Chahzamane a peur de voir son frère tomber dans des soucis et dans une inquiétude pire que les siennes. Chahriyâr insiste lourdement. Alors Chahzamane lui raconte ce qu’il a vu par la fenêtre de son palais. Son frère  est pris d’une violente colère et veut vérifier, en faisant un faux voyage de chasse avec son frère ; ils reviennent subrepticement la nuit, et s’installent à l’aube à la fenêtre du palais : même spectacle, et le Sultan manque de perdre la raison. Il propose à son frère de voyager, de province en province, jusqu’à ce qu’ils rencontrent quelqu’un dont l’infortune dépasse la leur.

Les deux frères marchent jusqu’à la tombée de la nuit et débouchent près de la mer. Tout à coup, une clameur immense retentit. Une colonne noire émerge des flots. En tremblant, ils grimpent dans un grand arbre. La forme gigantesque se hisse sur la terre ferme, portant sur sa tête un coffre en verre, fermé par quatre cadenas d’acier. Et voilà que surgit du coffre une adolescente de taille parfaite. la forme s’assied sur elle et s’endort. Alors l'adolescente découvre les deux frères, et leur somme de descendre, sinon, elle réveillera le djinn. Elle leur demande sous la menace d’avoir des rapports avec elle. Puis elle les somme de lui passer leurs anneaux : elle les met dans un petit sac, ce seront les centièmes de ceux des hommes qu’elle a connus. Les deux frères s’écrient : "Allah ! Allah ! Les ruses des femmes sont décidément plus fortes que tout".

Chahriyâr considère alors que l’infortune de cette adolescente est plus grande que la leur. Ils prennent donc le chemin du retour. Chahriyâr  appelle son Vizir et lui donne des instructions draconiennes. Chaque nuit, il aura une nouvelle épouse qu’il fera tuer le lendemain. Mais cela commence à se savoir dans le royaume ; la fille ainée du Vizir s’appelle Chahrazade, intelligente, sage, et très instruite. Un jour, elle demande à son père :
- Ô père, je voudrais te faire part de mes pensées secrètes.
- Quelles sont-elles ?
-
Je désire que tu arranges mon mariage avec le roi Chahriyâr : ou bien je grandirai dans l’estime de mes semblables en les délivrant du péril qui les menace, ou bien je périrai sans espoir de salut, partageant le sort de celles qui ont péri avant moi.

Le Vizir est très courroucé. Mais il raconte à sa fille ce qu’il est advenu de l’âne et du taureau avec le laboureur.

HISTOIRE DE L’ÂNE, DU TAUREAU ET DU LABOUREUR

Un marchand vivait dans une confortable aisance. Il habitait la campagne, et il comprenait le langage des animaux, qu’ils fussent bête sauvage ou domestique, mais ne pouvait révéler son secret à personne, sous peine de mort. Un jour il entend le taureau dire à l’âne :
- Ô toi, Père l’Éveillé, tu as bien de la chance de te reposer toute la journée ; on s’occupe de toi sans cesse, alors que moi, on me traîne vers les champs où je dois labourer, attaché à la charrue toute la journée …

L’âne lui répond :
- Ô geignard, il n’a pas menti celui qu t’a appelé « Père l’Agité ». Il suffirait d’un peu de ruse pour te tirer d’affaire. Je te conseille de ne rien manger demain.

Le taureau suit le conseil, et ne mange plus rien. Le garçon de labour, inquiet, va trouver le marchand : celui-ci répond :
- Va prendre l’âne, et attelle ce fourbe à la charrue.

On fait travailler l’âne toute la journée. Le soir, l’âne est mort de fatigue, tandis que le taureau s’est bien reposé.

Arrivé à cet endroit de son histoire, le Vizir dit à sa fille :
- Tu risques de périr en prenant des initiatives malheureuses comme ce sot. Je te donne ce conseil car j’ai pitié de toi. Je me comporterai avec toi comme le marchand avec son épouse.
 

Et il reprend la suite de son histoire. Il entend l’âne conseiller au taureau de reprendre sa docilité, sinon il pourrait être conduit à la boucherie. Le marchand éclate de rire. Sa femme lui demande pourquoi. Mais il ne veut pas lui dire son secret, sinon il mourra sur l’heure. Sa femme veut absolument connaître son secret … Chacun vient lui apporter ses ultimes condoléances.

Le Vizir s’arrête dans son récit et déclare :
- Et maintenant, écoute bien ceci, ô Chahrazade, ma fille …

Il y a dans leur ferme cinquante poules mais un seul coq. Le marchand entend soudain un chien de la maison s’adresser au coq qui passe son temps à sauter les poules. Le chien lui dit qu’il aurait autre chose à faire, alors que leur maître s’apprête à révéler le secret du langage des animaux. alors qu’il n’a qu’une seule femme à gouverner. L’autre demande que faire ?
- Qu’il choisisse un bâton de chêne, qu’il enferme sa femme dans le cellier, et qu’il la batte jusqu’à ce qu’elle dise qu’elle ne veut plus connaître le secret. 

Elle finit par avouer qu’elle ne demanderait plus rien … Toute la compagnie présente alors ses compliments !

Le Vizir promet à sa fille le même châtiment. Mais celle-ci répond qu’elle ira trouver le roi en l’absence de son père … Ayant épuisé tous ses arguments, le Vizir va trouver le roi, et lui propose sa fille en mariage cette nuit même. Chahrazade ressent une vive joie, et va trouver sa sœur pour lui demander d’aller trouver le roi, quand il aura fini ses ébats avec elle, et de demander « Ô ma sœur, si tu ne dors pas, raconte-moi une petite histoire ». Alors Chahrazade commencera un récit sans fin …

Ainsi fut fait : Après ses ébats, Chahrazade dit à sa sœur que le roi avait fait venir : "Ô ma sœur, raconte-moi une histoire, de celles qui nous aident à passer nos veillées".
Le roi donne son accord, et Chahrazade commence son histoire. Elle n’a pas terminé que le jour vient à paraître. Le roi veut connaître la suite de l’histoire, surtout quand Chahrazade dit: « Ce que vous venez d’entendre n’est rien en comparaison de ce que je me propose de vous révêler la nuit prochaine". Le roi est si curieux qu’il reporte la condamnation au lendemain. Mais le lendemain, le roi est si passionné par la suite de l’histoire, qu'il remet la condamnation au sur-lendemain, et ainsi de suite jusqu’à la nuit où il décide de ne plus faire tuer Chahrazade. Il dit à son Vizir : « Tu as bénéficié de la protection de Dieu. Tu m’as donné pour épouse ta fille aux nobles qualités. Elle a été la cause de ma repentance, et m’a fait renoncer de tuer les filles de mes sujets ». Et ses bienfaits s’étendront à tout son royaume.


 

LE MARCHAND ET LE DJINN

Un marchand fort riche fait du commerce international. Un jour, il doit quitter sa maison, enfourche sa monture, part en voyage, et règle ses affaires. Au retour, il s’arrête pour manger et faire ses dévotions. Immédiatement après, il voit un djinn gigantesque qui a l’aspect d’un vieillard, et qui tient un sabre dégainé.
- Lève-toi, ordonne-t-il, que je te tue avec ce sabre, comme tu as tué mon fils.
- Comment cela ?
- Lorsque tu as mangé des dattes, l’une d’elle que tu as lancée a tué mon fils.



Le djinn étend le marchand à terre ; celui-ci demande, comme grâce, de dire adieu à sa famille, pendant une année, avant de revenir voir le djinn. Le marchand retrouve sa famille, mais il est si éploré que sa femme lui dit : « Ô toi l’homme ! Qu’as-tu donc de te conduire de la sorte ? ». Il confie son secret à sa famille, tout le monde pleure. Il partage les biens qu’il laisse en héritage, etc. Cela lui prend presque une année. Puis il part,  et rencontre un vieillard, à qui il conte sa mésaventure, puis deux autres vieillards.

Le djinn apparaît avec son sabre. Il accepte que les vieillards racontent leur histoire personnelle. Le premier, accompagné d’une perfide gazelle, a retrouvé son fils transformé en veau. La fille du pâtre a mis de l’eau dans un bol, en a aspergé un veau qui est devenu un être humain, qu’elle épouse, et jette un sort sur la cousine, qui devient cette perfide gazelle. À la mort de la fille du pâtre, le fils part en voyage pour le pays de ce marchand.  Le djinn accorde alors un tiers de la vie du marchand.

Le deuxième vieillard raconte alors son histoire. Il est accompagné par deux chiens qui sont ses frères. L’un d’eux a vendu tous ses biens, et est parti en voyage. Un jour, le vieillard rencontre un mendiant : c’est son frère ! Le deuxième frère agit de la même façon. Puis ils convainquent le vieillard de faire comme eux. Il accepte et vend tous ses bien, en cachant une partie pour le retour. Pendant le voyage, il rencontre une femme qui veut l’épouser. Mais ses frères sont jaloux, et jettent les amoureux à l’eau. Alors la femme apparaît sous la forme d’une ifrite, de la race des djinns. Elle lui propose de noyer ses frères, ce qu’il refuse de faire. Quand le vieillard rentre chez lui,  il aperçoit deux chien qui sont ses frères, et que sa femme  a transformés. Maintenant l’heure est de leur faire reprendre leur aspect humain. Le djinn accorde alors un deuxième tiers de la vie du marchand.

Le troisième vieillard indique que la mule qui l’accompagne était sa femme. Un jour il l’a trouvée avec un Noir. Elle vocifère, et le transforme en chien, qui se fait accueillir par le boucher. Mais la femme de ce dernier déclare que ce chien est en fait un homme, et l’asperge d’eau pour le retransformer en homme. Celui-ci récupère l’eau, et la jette sur sa femme, pour la transformer en mule grise qu’il chevauchera pour aller à ses affaires. Le djinn accorde un troisième tiers de la vie du marchand, qui peut revenir libre chez lui.

LE PÊCHEUR ET LE DJINN

Un vieux et pauvre pêcheur a du mal à nourrir sa famille. Un jour, en jetant son filet, il pêche un âne mort. Après réparation du filet, il rejette son filet et pêche … une jarre remplie de sable et de limon. Il rejette une troisième fois son filet à l’eau : rien. Une quatrième fois, il pêche un vase de cuivre jaune très lourd. À l’ouverture, se dégage une fumée épaisse, qui obscurcit le ciel d’où apparaît un ifrite au visage de loup. Celui-ci lui donne la "bonne nouvelle" de sa mort prochaine.

Le djinn raconta alors son histoire : le roi Salomon l’a fait mettre dans le vase pour le punir pendant au moins deux cents ans. Le pêcheur conteste que le djinn ait été enfermé tout entier dans le vase. À ces mots, le djinn se transforme en fumée, et rentre dans le vase, dont le pêcheur referme le bouchon. L’ifrite promet une forte récompense, mais le pêcheur ne le croit pas,  et lui raconte l’histoire du roi des Grecs et du médecin Dourane :

Un roi grec portait la lèpre sur son corps. Un jour, un sage romain nommé Doubane, entre dans la ville, et propose au roi de le guérir. Il lui donne une battoire imbibée d’herbes essentielles, et le convie d’aller à cheval taper sur une balle avec la battoire, le plus longtemps possible, et il reviendra guéri. Ainsi fait, et ayant pris un bain, le roi constate qu’il n’a plus de traces de lèpre. Mais un vizir est très jaloux de l’ascendant que Doubane a pris sur le roi.  

 


 Le Vizir lui répond par une  histoire : « Le prince et la goule » :
Un certain souverain avait un fils passionné de chasse et de gibier. Il parvient à débusquer une bête sauvage. Il part à sa recherche, et se retrouve seul en plein désert. Il y trouve une femme en pleurs, qui lui dit être la fille d’un roi des Indes, qui s’est endormie sur son cheval, et s’est réveillée étendue par terre. Ils arrivent en vue d’une maison où la femme entre. Il entre à sa suite : la femme est devenue une goule (La goule est une créature monstrueuse du folklore arabe pré-islamique), qui s’abstient de le manger. Le Vizir poursuit en indiquant qu’il a des preuves que Doubane est un espion d’une puissance étrangère qui cherche à se débarrasser du roi. Il réussit à gagner la confiance du roi qui convoque Doubane pour le faire exécuter. Doubane comprend qu’il lui faut mourir. Certains hauts personnages de l’entourage royal demandent sa grâce. Alors Doubane tente sa dernière chance : il promet au roi de lui offrir un livre qui renferme des secrets : s’il se fait couper le cou, sa tête répondra au roi. Celui-ci est très étonné, et laisse Doubane chercher le livre. À  son retour, le roi lui fait couper la tête, qui lui répond d’ouvrir le livre dont les feuilles sont collées les unes aux autres. Le roi les humecte de sa salive pour tourner les pages et le poison mortel dont elles sont imprégnées s’insinue en lui et il s’écroule sur le sol, mort.

Ayant terminé son histoire, le pêcheur conclut :
- Sache, ô ifrite, que si le roi des Grecs avait consenti à laisser la vie à son médecin, il serait lui-même resté en vie, car Dieu l’aurait conservé longtemps en ce monde dans le meilleur de sa santé. Il en va de même pour toi. Tu m’amène à te vouer à une mort certaine en t’emprisonnant à nouveau dans ce vase, et en te rendant à la mer.
- Non ! ô pêcheur, implore l’ifrite, laisse-moi demeurer sur la terre ferme. Le proverbe  ne dit-il pas : « homme bienfaisant, tu ne mériteras ce nom qu’en faisant le bien à celui qui t’auras offensé » ?


Puis l’ifrite dit qu’il racontera son histoire, quand le pêcheur l’aura délivré. Le pêcheur refuse encore une fois, mais invite l’ifrit à confirmer ses paroles par un serment solennel. Le pêcheur consent alors à ouvrir le vase dont s’échappe une fumée qui se transforme en ifrite, qui n’a pas l’air de tenir sa promesse, mais qui le convie à pêcher dans un étang, dont il ressort de ses filets quatre poissons : un rouge, un jaune, un blanc et un bleu.

L’irrite lui dit :
- Apporte donc ces poissons au sultan et offre les lui en présent. Ta récompense te rendra riche.

Puis l’ifrite frappe la terre qui s’ouvre et l’engloutit. Le roi fait cuire les poissons et fait donner au pêcheur cent pièces d’argent. La cuisinière prépare les poissons et les met dans une poêle. Le mur de la cuisine se fend en deux, laissant apparaître une jeune fille à la taille parfaite. Elle tient à la main une baguette d’osier. Elle dit :
- Poissons, ô poissons, souvenez-vous du pacte auquel vous êtes tenus. La servante s’évanouit, et les poissons sont tous brûlés. Le vizir donne l’ordre au pêcheur de renouveler sa pêche. Le vizir veut voir comment se passe la cuisson. À nouveau la jeune fille apparaît, et il se produit le même phénomène. Le vizir rapporte l’histoire au sultan, qui souhaite voir lui-même la cuisson. Il donne quatre cent pièces d’argent au pêcheur. Mais cette fois-ci, c’est un serviteur noir qui apparaît, et qui dit aux poissons : « N’oubliez-pas que vous êtes tenus à respecter le pacte ».

Le roi veut tirer cette affaire au clair : le vizir ne connaît pas l’étang, et le pêcheur répond qu’il est à une heure de marche. Le roi constitue une petite troupe qui découvre l’étang et ses poissons. Puis il confie à son vizir qu’il va rester secrètement la nuit au bord de l’étang. C’est ce qu’il fait, et découvre le matin un palais royal, magnifiquement meublé, mais inhabité. Enfin il aperçoit un jeune homme qui pleure, et lui montre le bas de son corps, qui n’est qu’un bloc de pierre. À la demande du roi, le jeune homme conte son histoire  :

LE ROI DES ÎLES NOIRES

Le père du jeune homme a régné en ces lieux. son fils lui a succédé. Celui-ci se fait soigner par deux servante qui, pendant  que le jeune homme feint de dormir, se font leurs confidences : la reine verse chaque nuit du soporifique dans le verre qu’il boit chaque nuit, avant de se coucher. Pendant la nuit, elle sort du palais et revient à l’aube. Elle s’arrange pour faire respirer à son mari une substance qu’elle fait brûler sous son nez, et qui dégage une épaisse fumée.

Le jeune mari décide de confondre sa femme, et fait semblant de boire le verre et de s’endormir profondément. Elle traverse la ville et rentre à la campagne dans une pauvre masure, où l’attend un Noir, courroucé de son retard. Elle s’excuse, mais ne réussit pas à calmer le courroux de son amant, qui accepte enfin ses excuses. Le jeune mari entre dans la pièce et veut tuer les deux amants. Il rate, mais blesse le Noir dans l’obscurité.

Le lendemain, il trouve son épouse en pleurs qui lui dit qu’une partie de sa famille est décédée ; elle veut faire construire un monument funéraire, où elle loge son amant. Les années passent et l’époux décide que cette comédie doit cesser. Il décide une dernière explication. Mais sa femme prononce une formule qui le transforme moitié pierre, moitié homme. Elle jette aussi un sort à la ville et transforme ses habitants en poissons : les blancs sont des musulmans, les rouges des mages, les bleus des chrétiens, et les jaunes des juifs. Elle jette également un sort aux îles, qui deviennent quatre collines. Enfin chaque jour elle vient flageller le jeune homme jusqu’à ce que son sang coule.

Le sultan décide alors de prendre la défense du jeune homme, et rentre dans le mausolée. Il rencontre la femme et lui demande d’arrêter son manège, ce qu’elle fait. Le jeune homme redevient donc normal. Son amant lui demande aussi de délivrer les poissons qui redeviennent de braves marchands, puis il la tue.

De retour, le sultan  décrète une période de festivités, épouse l’une des deux filles du pêcheur, et charge son vizir d’aller gouverner ce royaume des îles noires, avec le titre de sultan. Quant au pêcheur, père de deux filles mariées chacune à un roi, il devient leur compagnon intime et l’un des hommes les plus prospères de son temps.

La suite des "Mille et une nuits" dans un prochain article.