LA RÉVOLTE DU CAIRE



Création le 26 juillet 2020
 

Autant les hommes politiques français étaient satisfaits d'éloigner des coulisses du pouvoir un jeune général trop efficace, en l'envoyant verrouiller la route des Indes aux Anglais, autant Bonaparte était fasciné par la civilisation antique de l'Égypte ("Du haut de ces pyramides, quarante siècles vous contemplent"). Aussi avait-il enmené dans son expédition un groupe de savants et une bibliothèque importante.

Pourtant, les choses avaient mal commencé : après un diner bien arrosé, la flotte française s'approche de Malte. Le poète Arnault, qui est à bord du vaisseau amiral, se réveille et va sur le pont. Il voit un récif à quelques mètres du navire. Il frappe à la porte de la chambre de Ganteaume, chef de l'état-major de l'armée de mer :
- Que diable voulez-vous à cette heure ?
- Savoir où nous sommes.
- À deux lieues de Gozo (île près de Malte). Bon soir.
- Nous n'en sommes qu'à quarante mètres !
- Farceur !
Ganteaume se rend à l'évidence : l'officier de quart s'était endormi ! Et le naufrage était imminent !

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Dès le début d’octobre 1798, à l’instigation du général Bonaparte, les représentants des différentes régions d’Égypte sont réunis au Caire. Officiellement, l’objectif de cette rencontre est d’accoutumer les notables à l’idée d’assemblée et de gouvernement. Mais dans la réalité, le véritable but recherché  par Bonaparte est de faire accepter la nouvelle politique fiscale par le peuple. Cela va provoquer une révolte.

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La Revue du Souvenir napoléonien, dans son numéro n° 92 de 2019, a publié un excellent article de Pascal Cyr. Spécialiste de l’histoire du Consulat et de l’Empire, Pascal Cyr détient un doctorat de l’Université de Montréal ainsi qu’une maîtrise de l’Université de Sherbrooke.

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Pour se doter d’un revenu stable et régulier, Bonaparte décide d’établir une taxe proportionnelle à l’importance des propriétés. Seules les mosquées sont épargnées. Mais la population est en plein émoi : elle vient d’apprendre que l’Empire ottoman serait sur le point de déclarer la guerre à la France. De nombreux émissaires syriens viennent en Égypte éveiller le fanatisme religieux. Du haut des minarets, des incitations à la révolte accompagnent les prières.




Mosquée El-Azhar

Le 21 octobre, des architectes et des ingénieurs sont mandatés pour déterminer l’évaluation des propriétés. Le peuple est en pleine ébullition. Sans distinction, les Français qui trainent dans les rues, ainsi que les musulmans soupçonnés  d’avoir collaboré avec l’occupant, sont égorgés sur place. Alors que le chaos règne dans la ville, les révoltés établissent leur quartier général à la grande mosquée El-Azhar. Des casseurs et des pillards en profitent pour prendre tout ce qu’ils peuvent.

Bonaparte rentre au Caire et fait transporter une trentaine d’obusiers de gros calibres à la citadelle du Caire dont les hauteurs dominent l’ensemble de la ville. Les Bédouins soutiennent les révoltés et massacrent la cavalerie française. À midi, le bombardement de la mosquée commence, provoquant des dégâts considérables. Les insurgés tentent une attaque contre la citadelle. Le général Dommartin fait charger les insurgés à la baïonnette. Puis Bonaparte fait attaquer la grande mosquée, avec pour ordre d’exterminer tous ceux qui s’y trouvent.


Combat au sabre
Les insurgés abandonnent les occupants de la mosquée à leur sort ; les cheiks se rendent auprès de Bonaparte  afin de lui demander de faire cesser les hostilités. La révolte du Caire est terminée. Pour ne pas s’aliéner les Égyptiens, Bonaparte se montre clément et pardonne à la population. Il dit aux membres du Diwan (1) qui se présentent à genoux devant lui : « Je sais que beaucoup de vous ont été faibles, mais j’aime à croire qu’aucun n’est criminel. Ceux qui sont morts satisfont à ma vengeance. Je pardonne à tous … ». Mais tous ceux qui ont été pris dans la Grande Mosquée  seront exécutés.

Les ulémas (2) parlent maintenant avec chaleur de Bonaparte, le sultan El-Kébir, « celui qui aime le Coran et le Prophète ». Mais il ne faut pas se leurrer : le peuple et ses différents représentants seront toujours prêts à reprendre les armes.

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(1) Diwan : En arabe : le lieu du pouvoir. On peut le traduire par cabinet ou office (cabinet royal, cabinet ministériel, conseil, ...). C’est de ce sens originel que vient le mot français douane.

(2) Ulémas : théologiens musulmans.


Bonaparte fait grâce aux révoltés