Ce livre est basé sur le fonds unique des archives photographiques de l’École biblique de Jérusalem - plus de 15 000 images - constituées à partir de la seconde moitié du XIXème siècle par les Pères dominicains au cours de leurs fouilles à des fins de documentation archéologique, mais également pour témoigner de la physionomie de la Palestine ; cet ouvrage vise à apporter une contribution à la connaissance du pays et de sa capitale. Les quelques 200 photographies, pour la plupart inédites, reproduites dans ce livre sont accompagnées de cinq contributions d’auteurs reconnus, tant pour leur connaissance de la ville sainte et de la Palestine, que pour la qualité de leurs travaux.
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L’École est située près de la vieille ville de Jérusalem, à la Porte de Damas, sur les lieux d’une basilique byzantine du Vème siècle, édifiée là où la tradition chrétienne vénère le martyre de Saint Étienne, le premier martyr. D’où le nom de Couvent Saint-Étienne donné à la communauté des religieux dominicains qui anime l’École biblique. Depuis sa création, l’École mène de front, et de manière complémentaire, l’exégèse des textes bibliques, ainsi que des recherches archéologiques en Israël et dans les territoires et pays adjacents.
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Parmi les 200 photos du livre, nous n'avions que l'embarras du choix. Nous avons pris le parti de choisir 12 photos, par ordre alphabétique, de noms des villes qui réveillent les souvenirs bibliques ou historiques du lecteur.
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Bethléem |
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Bethléem - Basilique de la Nativité |
PHOTOGRAPHIER LA TERRE SAINTE ?
Elias Sanbar est écrivain, mais aussi Ambassadeur, délégué permanent de la Palestine auprès de l'UNESCO :
Dire que la Terre sainte suscite et attise depuis des siècles les passions relève du lieu commun. Mais pour autant, les photographies de la Terre sainte ne sont pas en elles-mêmes des images saintes.
Peintres, graveurs et voyageurs en ont fait l’un des principaux sujets de l’art figuratif. En sera-t-il autant des photographes ? En tout cas, le travail des photographes dominicains n’a pas été de convaincre, mais de témoigner, du point de vue de l’épigraphie, de l’archéologie, de la géographie historique, voire de la géologie.
Les photographies de cet ouvrage ne sont pas inspirées par la croyance, elles disent que ce pays simple était le pays des gens simples, habitant une terre banalement humaine.
Ces images sont spécifiquement françaises et rappellent l’œuvre de la France à travers ses missions, sans que cela signifie que la Palestine est « française ».
L’identification n’est pas la sacralisation. L’image du vendeur de galettes, ou celle de la mère faisant la leçon à son fils pour on ne sait quelle espièglerie, font partie d’un décor naturel et non d’un parti constructif.
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Cana |
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Capharnaüm |
JÉRUSALEM, JAFFA, BI'R AL SAB'
Plan d'urbanisme et espace public dans la Palestine ottomane
Salim Tamari est professeur de sociologie et d'histoire sociale à l'Université de Bir Zeit en Palestine. Il est également le rédacteur en chef du Jérusalem Quaterly, publié par l'Institut des études palestiniennes :
Peut-on parler de « colonialisme ottoman » à propos des provinces arabes ? D’émergence de formes d’identité urbaine au détriment de l’identité communautaire traditionnelle ? Au XIXème siècle, de nouveaux cadres de réunions publiques voient le jour - cafés, théâtres, music-halls et manifestations sportives - sans oublier la mise en place, par des États européens, d’institutions modernes nouvelles, à l’encontre de l’émergence d’une citoyenneté proprement ottomane.
Succédant à la planification ottomane, les Anglais mettent en place des plans d’urbanisme, particulièrement à Jérusalem, Jaffa, et Bi’r al-Sab’.
Dans le même temps, les villes portuaires se développent grâce au commerce et aux investissements étrangers, en complément de la banalisation du style ottoman dans les provinces arabes.
Ces changements sont renforcés au début du XXème siècle en Palestine, face à l’Égypte désormais sous contrôle britannique, ceci pour améliorer le passage des pèlerins vers la Ville sainte et pour favoriser l’exportation des produits agricoles palestiniens et syriens vers le marché européen.
La Jaffa moderne est une ville ottomane par excellence. Son gouverneur Abou Nabbout lance un ambitieux programme d’aménagement, avec le percement des principales avenues, la construction de deux marchés, de caravansérails, et d’entrepôts.
C’est en 1877 qu’est réalisée la première ligne de chemin de fer du pays, aussi bien pour le transport de deux millions de caisses des fameuses oranges de Jaffa ! De 1914 à 1917, nouvel essor moderniste en concurrence avec la ville juive de Tel-Aviv. Sous le gouvernorat de Hasan Bey, la cérémonie religieuse de Jaffa se transforme en grande manifestation civile au cours de laquelle chrétiens, juifs et musulmans célèbrent la fin de l’hiver …
Pourquoi l’absence de jardin public ? Parce que souvent les terres agricoles sont à l’intérieur des villes, au beau milieu des quartiers résidentiels !
Ragheb Bey est un bon exemple de notable palestinien, architecte de la réforme urbaine. Il est chargé de la reconstruction de Bi’r al Sas’, nouvelle ville frontière ottomane. Édifices publics, maîtrise des sources d’eau, création d’un nouvel espace public …
L’émergence de fêtes inter-religieuses favorise celle d’une nouvelle intelligentsia cultivée. Par ailleurs la sédentarisation des populations nomades est un moyen de pérenniser les recettes de l’État, dans la mesure où le recensement des terres est entrepris, ce qui ne plait pas forcément aux intéressés …
Les routes, le télégraphe, et le nouveau réseau ferré, avec sa vaste gare, seront inaugurés en grande pompe par Jamal Pacha et ses généraux, avec - symbole de la nouvelle modernité de la Palestine et des provinces ottomanes - la tour de l’Horloge bâtie pour réguler le temps « du travail, du loisir et de la prière ».
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Gaza |
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Jérusalem - Dôme du Rocher |
Nazmi Al-Jubeh est le Président du département d'histoire et d'archéologie de l'Université de Bir Zeit.
La Palestine est conquise en 1516 par les Ottomans, et Jérusalem acquiert aussitôt une place de choix. Soliman le Magnifique porte une attention toute particulière à l'esplanade des Mosquées, le Haram al-Sharif, dont il fait recouvrir de mozaïques les façades extérieures.
Pour des raisons multiples liées aux guerres et/ou à la corruption administrative et financière, Jérusalem est considérablement négligée au XVIII ème siècle. En 1831, Ibrahim Pachan, fils de Mohammed Ali, gouverneur d’Égypte, encercle la ville à la tête de ses troupes, défiant tant les Ottomans que les Puissances occidentales.
Dévoilée par la facilité de la conquête égyptienne, la vulnérabilité ottomane a - entre autres conséquences - celle de placer Jérusalem au premier rang des priorités occidentales qui obligent Mohammed Ali à retirer ses troupes en 1840, en échange de la reconnaissance de la permanence de son pouvoir sur la seule Égypte.
En 1872, par décret central de l’État ottoman, Jérusalem devient la capitale incontestée de la Palestine ; ce décret est vite abrogé : la liesse qui l’accueille en Europe suscite les inquiétudes des Ottomans. Mais Jérusalem conserve le rang international, et la majorité des pays y installent des consulats. Même engouement pour les représentations religieuses.
En un mot, Jérusalem devient un point d’interrogation de la fameuse « Question d’Orient ». On rivalise de constructions et d’aménagements : couvents, écoles, mais aussi évacuation des eaux usées, eau courante, numérotation des bâtiments, services postaux, toilettes publiques, voire quartier juif …
L’occupation britannique de Jérusalem en 1917 est légalisée jusqu’en 1948. L’archéologie est privilégiée dans la Vieille Ville, tandis que la ville extra-muros connait un grand essor. De nouvelles localités voient le jour. Côté société civile, la nouvelle couche sociale ne se cantonne pas aux affaires et au commerce. La musique classique occidentale fait son entrée dans les foyers de Jérusalem, et l’architecture devient un subtil mélange d’éléments orientaux et occidentaux, alors que nombre d’habitants de la Vieille Ville demeurent rétifs aux changements venus d’Occident.
À Jérusalem, la période coloniale est donc celle de l’émergence de deux mondes.
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Jérusalem - Retour de Médine |
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Pélerinage au Saint Sépulcre |
Emma Aubin-Boltanski, anthropologue, est chargée de recherches au CNRS et membre du Centre d'études interdisciplinaires des faits religieux (CEIFR).
Les traditions judéo-chrétiennes et musulmanes diffèrent peu sur le récit de la vie de Moïse. En revanche, elles divergent sur le lieu et les circonstances de sa fin.
Pour les musulmans le Prophète Muhammad évoque « la colline de sable rouge » (dans le désert entre Jérusalem et Jéricho ?). En tout cas seuls les musulmans vouent un culte au sanctuaire de "Nabî Mûsa". Mais comment cette fête religieuse centrée sur Jérusalem s’est transformée en une célébration nationaliste ?
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Pour en savoir plus sur Nabî Mûsa, avant de poursuivre cet article, via :
Presses de l’Ifpo
Publications de l’Institut français du Proche-Orient (Liban)
https://books.openedition.org/ifpo/1193?lang=fr
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Le mawsim de Nabî Mûsa coïncide avec les fêtes de la Pâque juive (Pessah) et les Pâques chrétiennes. Nabî Mûsa est situé à 27 km de Jérusalem. À la fin de la période ottomane, et pendant le mandat britannique, l’afflux massif et simultané de pèlerins chrétiens, juifs et musulmans à Jérusalem constituait un motif de préoccupation pour les autorités de la ville. Les rencontres qui se produisaient dans les ruelles étroites de la Vieille Ville étaient tendues.
Les défilés venaient successivement de plusieurs villes. On a de nombreux témoignages écrits de ces festivités. Le cortège, drapeaux en tête, sortait de la Vieille Ville. Derrière les notables, les confréries soufis paradaient au rythme de leurs instruments à percussion. Les scouts, munis de cornemuses et de caisses blanches, se joignaient au défilé.
Les femmes ne participaient pas à cette procession. Elles se postaient le long des chemins pour accompagner les hommes de leurs youyous stridents, les asperger d’eau de rose et leur jeter des pétales de fleurs. Arrivés au mont des Oliviers, les pèlerins partaient alors pour Nabî Mûsa par leurs propres moyens.
En 1920, Les Pâques coïncident. Le 4 avril les leaders nationalistes haranguent la foule et la procession religieuse se transforme alors en manifestation. Mais un jeune homme se distingue : c’est Hâjj Amin al-Husayni, qui va devenir le leader du mouvement nationaliste, et qui brandit le portrait de Faysal en répétant « Voici notre roi ! Voici le roi des Arabes ! » Dans le même temps des jeunes juifs lancent des pierres sur les bannières … La violence s’empare de la foule qui s’en prend à la population juive, tue, pille et saccage. L’émeute dure trois jours, et est tardivement et brutalement réprimée par la police britannique.
L’intérêt de Hâjj Amin pour le mawsim de Nabî Mûsa s’explique en grande partie par le fait que sa famille assure le patronage du pèlerinage. « Ô Hâjj Amin, ô épée de la religion, comme Saladin mène-nous à la muraille » crie la masse des dévots musulmans dans les rues de Jérusalem. Le caractère religieux de cette fête devient alors nationaliste.
Actuellement, le lieu saint est situé dans une zone militaire. Les parades ne sont autorisées par les militaires israéliens qu’à l’intérieur du bâtiment …
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Nazareth - Fontaine de la Vierge |
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Saint Jean d'Acre |
Jean-Michel de Tarragon est professeur permanent à l'École biblique en histoire des religions sémitiques anciennes et en charge de la photothèque depuis 1994.
Le fond photographique ancien des Dominicains de Jérusalem se trouve au couvent Saint-Étienne-Protomartyr de Jérusalem. Objectif de son fondateur, le Père Lagrange : étudier la Bible en son contexte, sur place, pour tenir compte de tout l’environnement oriental.
À l’époque de la fondation, en 1890, la « caravane biblique » se rendait à cheval ou à dos de chameau jusqu’au Sinaï. Ces excursions tenaient lieu de cours. La caravane jubilait lorsqu’elle découvrait par hasard un milliaire romain inédit, une stèle qu’un fella venait montrer, un tombeau au flanc d’une falaise, un morceau de mosaïque : c’était l’occasion merveilleuse de dessiner, mesurer, calquer, décrire succinctement, et bien sûr photographier.
La collection est constituée de 12 000 négatifs, mais de très peu de tirages. L’objectif était d’en garnir des livres. Une particularité de ce fonds ancien est qu’il s’accroit par des dons au cours des ans.
Les pères dominicains ne signaient guère leurs photos, ni ne les dataient : ils les connaissaient par cœur. Le dernier rangement remonterait à 1950. Il est prévu d’avoir un jour un site web avec, en basse définition, l’intégralité de la numérisation accessible au public.
En 2013, la photothèque totalise 19 200 clichés et 3 000 positifs, plus la numérisation de 30 000 diapositives. La photothèque a eu la chance de pouvoir conserver la quasi-totalité du matériel photographique ancien ; les projecteurs fonctionnaient d’abord au gaz acétylène avant d’être électrifiés à 110 volts …
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Nous sommes heureux d'avoir contribué modestement à une meilleure connaissance de la Palestine par l'intermédiaire de la recension de ce beau livre.
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Lac de Tibériade |