CE QUE JE CROIS


Création le 2 novembre 2017
Modification 1 : Paris Match 5 novembre 2017

Un général chrétien, croyant, cartésien, oriental, honnête envers lui-même et envers les autres, humaniste, lucide, pétri de culture française, cela n’existe pas ! Ses photos furent interdites, les voilà maintenant partout. Qui est-ce ?

Désirée Sadek est une journaliste franco-libanaise ; elle a réalisé un livre document, à partir d’entretiens  qui lui ont été accordés, quelques mois avant son arrivée à la Présidence, par le général Michel Aoun, Commandant en chef de l’armée libanaise de 1984 à 1990, forcé à l’exil, puis de retour au pays, Président de la République depuis le 31 octobre 2016. Et pourquoi pas un jour, Président des États-Unis d’Orient (EUO) ?

Le livre est divisé en deux parties : la première est une sorte de « dos à dos » de l’émission télévisée française « Thé ou café » (ironie du sort : le thé et le café nous viennent d’Orient). La deuxième est un florilège d’articles, de lettres et de discours qui ne sont pas en langue de bois … de cèdre.



Le parti architectural de la mise en page du texte de Désirée Sadek est arborescent, ce qui rend le lecteur plus attentif à déchiffrer un glossaire inédit, pas du tout alphabétique, et qui commence par « l’amour - la haine » et qui se termine par un acte de foi.

Quelques exemples :
- la lâcheté consiste à fuir la confrontation jusqu’à accepter la soumission en se laissant envahir par la peur.
- « Si jeunesse savait et si vieillesse pouvait » (le Cid de Corneille).
- le masculin et le féminin : l’égalité doit s’exercer dans leurs droits.
- la guerre est une rupture avec la civilisation, un accident de la vie, la barbarie.
- il faut toujours tenter de déchiffrer l’inconnu pour le rendre prévisible.
- l’échec est de ne pas entreprendre plutôt que de ne pas réussir.
- la force morale c’est de supporter le tort qu’on vous porte.
- l’amour est fidèle et le désir est traître.
- l’âme : imperceptible, elle est notre dimension divine.
- Et enfin : Aujourd’hui, je continue le chemin qui est le mien : celui de l’amour de la vérité et de la liberté. Beaucoup de Libanais ont placé leur confiance et leurs espoirs en moi. Au nom de cela, je poursuivrai mon engagement jusqu’au bout.

CHAPITRE SUIVANT : les grands choix.


S’il fallait n’en garder qu’un, ce serait celui-là ! (… Et s’il n’en reste qu’un, je serai celui-là - clin d’œil de la journaliste à Victor Hugo).
- Les histoires inoubliables ? Ce sont celles qui déterminent le cours de notre vie (comme celle de son mariage).
- Si vous deviez éliminer toutes les couleurs et n’en garder qu’une ? Le vert, parce qu’il signifie le renouvellement qui accompagne les quatre saisons qui sont les cycles de la vie.
- J’ai beaucoup d’admiration pour qui n’ont pas écrit de livres mais qui ont transmis leurs pensées à leurs disciples, à la manière de Socrate, de Jésus et de Bouddha.
- Un homme politique : Mazarin, le malin. Pendant la guerre entre la France et l’Espagne, la Reine lui a dit : « Demandez aux Français de prier pour qu’on gagne la guerre ». Il lui a répondu : « Non Madame, les Espagnols prient beaucoup plus que nous, il nous faut de l’argent, des hommes et des canons ».
- Un pays : le Liban. Nous avons les lois les plus modernes du monde. Malheureusement, elles ne sont pas appliquées !





CHAPITRE SUIVANT : « Les 36 questions de Marcel Proust », et un « bonus » de vingt autres !

 Dont nous en avons extrait six, que nous avons particulièrement appréciées - on ne va tout de même pas citer le livre entier !
- Votre vertu préférée ? L’espérance.
- Votre principal défaut ? Ma confiance immédiate envers l’autre et la croyance  que l’Homme est foncièrement bon et honnête.
- Vos héros dans la vie réelle ? Tous ceux qui militent pour une cause juste, et pour laquelle ils risquent leurs vies.
- Le fait militaire que vous estimez le plus ? Toute bataille qui n’a pas eu lieu parce qu’on a pu l’éviter.
- Dans quelle période de l’histoire auriez-vous aimé vivre ? Elle n’est pas encore arrivée.
- Une pensée que vous aimez ? « Seul le silence est grand, tout le reste est faiblesse ». Alfred de Vigny.


Beyrouth

 CHAPITRE SUIVANT : Les moments forts, carnet de bord des dates inoubliables.

"La grande détresse des peuples, c'est d'avoir des dirigeants qui ne peuvent que gérer la défaite".

Durant l'été 1988, avant son départ, le Président Amine Gemayel  nomme le 22 septembre Michel Aoun à la tête du gouvernement libanais. pas reconnu par les Syriens. Aoun veut réglementer les ports illégaux. Aussitôt, l'artillerie syrienne bombarde le port de Beyrouth.

Le 14 mars 1989, les bombardements touchent le bureau de Michel Aoun qui déclare "la guerre de libération" et demande officiellement à la Syrie de retirer ses troupes du Liban.

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"Les peuples qui n'ont pas de mémoire collective ne peuvent que répéter les mêmes erreurs".

Le 4 novembre 1989, Michel Aoun dissout le parlement et déclare au peuple : "Vous êtes les seuls décisionnaires et nul n'est habilité à vous représenter".

En août 1990, après l'invasion irakienne du Koweit, le gouvernement américain sollicite la participation de la Syrie à la coalition soulevée contre Bagdad. En échange, l'administration américaine donne à la Syrie son feu vert pour achever la conquête du Liban.

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"La société entre en déclin lorsque l'individu s'interroge sur ce qui peut bien se passer plutôt que de décider de ce qu'il peut bien faire".

Le 6 février 2006, signature d'un document d'entente bilatérale avec le Hezbollah. Par la suite, Michel Aoun lance un appel pour la formation d'un gouvernement d'union nationale.

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"Seul l'entêtement de la vérité peut faire face à l'impudence du mensonge".

Depuis le 25 mai 2014, le Liban se trouve sans président. Le général Aoun souhaite mettre fin à l'élection d'un président faible, pratiquée depuis 1982. Mission impossible, et pourtant, le 31 octobre 2016, il devient le treizième président de la République libanaise, après deux ans et demi de vacance présidentielle.

VISION ET PRÉVISIONS

Lettre au Président François Mitterand - 1989

Après avoir rappelé le temps de son enfance où Juifs et Musulmans faisaient fêtes communes, il prévoit que la grande confrontation du siècle finissant sera la confrontation entre l'islamisme et l'Occident. Accepter la disparition du Liban, c'est se priver d'une terre où le dialogue a toujours été plus qu'une réalité quotidienne.


Les accords de Taëf ne font pas l’unanimité au Liban. (Pour la population libanaise, en particulier chrétienne, ils sont considérés comme mettant en place un protectorat syrien. Sur le plan militaire, l’armée syrienne peut rester au Liban de façon indéfinie !).

Les députés libanais qui ont signé ces accords n'ont pas reçu l'approbation populaire depuis ... 1972. Michel Aoun termine en demandant le soutien de François Mitterand.

 ( On pourra se reporter à la tribune organisée à l'époque dans le site "Persée" http://www.persee.fr/doc/grif_0770-6081_1990_num_43_1_1830 
et avoir en esprit ce qui se passe actuellement en Syrie ...)

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Lettre ouverte aux gouvernants du monde

Les "accords" de Taïef se sont révélés une calamité pour le Liban, désormais ligoté, bâillonné, mis au ban des nations. Tous les observateurs internationaux sont unanimes à reconnaître que le Liban est complètement inféodé à la Syrie.

Et Michel Aoun de craindre que le Liban ne fasse les frais d'une normalisation quelconque entre Israël et ses voisins arabes, et ne soit empêché d'être l'auteur de son propre destin.

Et il termine de manière prémonitoire : Personne n'est à l'abri de la violence que peut susciter le déchainement des passions ethniques et intégristes qu'aucune frontière ne saurait contenir.

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Article dans le Figaro : Il est temps de désigner le coupable - 2001

Michel Aoun rappelle que du temps de l'Empire ottoman, le Liban existait déjà en tant qu'entité politique, alors que le mot "Syrie" définissait une zone géographique et non politique.

Que la Syrie est une création de la France en 1939, mais que les responsables syriens œuvrèrent pour l'établissement d'une "Grande Syrie mythique" englobant le Liban, la Jordanie et la Palestine.

Que toutes les parties prenantes aux conflits israelo-arabes, ou arabo-arabes, se sont fait la guerre au Liban.

Que le Président Hafez el Assad a fait cette déclaration : "Nous avons décidé d'intervenir sous le nom de l'Armée de libération palestinienne".

Qu'Israël a donné son feu vert à l'entrée des Syriens au Liban.

Et il termine : Comment pourrait-on alors envisager en octobre prochain un sommet de la Francophonie à Beyrouth ... sous le thème : Dialogue des civilisations ?

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Allocution du Président de la République Libanaise, le général Michel Aoun, à l'occasion de la fête de l'Indépendance - 21 novembre 2016

Depuis des années, le Liban vit au centre d'une région secouée par des guerres destructrices ... En réagissant aux conflits de la région, le Liban a failli voir son unité nationale se fissurer ... L'Indépendance ne doit pas être qu'une simple fête mise en scène tous les ans ... Un peuple sans terre est un peuple de réfugiés et une terre sans peuple est un domaine vacant ... Les vertus morales doivent occuper la première place, suivies du travail sérieux et appliqué qui accumule la connaissance ... Le temps de la reconstruction est venu. Le chantier a besoin de tous et ses avantages profiteront à tous ...

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Selfie avec Daniel Rondeau. © Baptiste Giroudon / Paris Match

Le général rebelle n’était ni d’un clan ni d’un appareil, asservi seulement par son obéissance à quelques grands principes : élections libres, indépendance nationale et refus du terrorisme. Nous avions été quelques-uns à penser que l’avenir du monde arabe, et un peu du nôtre, se jouait dans les décombres de ce palais.


Mais les États-Unis avaient besoin de l’appui d’Assad pour la première guerre du Golfe et, comme la France, ils avaient reproché à Michel Aoun la division du camp chrétien et une entrée en guerre aventureuse contre la Syrie. Les chars de Hafez el-Assad avaient été autorisés à entrer dans Beyrouth le 13 octobre 1990.
 

Je le retrouve aujourd’hui dans un bureau neuf, assis devant une bibliothèque et un drapeau libanais. Le palais a été restauré avec soin. « Monsieur le Président, vous étiez dans le bunker le 13 octobre, aviez-vous été prévenu de l’attaque syrienne ? — La veille au soir, le 12 octobre, j’ai reçu d’un Libanais la photocopie de l’ordre donné à l’armée syrienne d’intervenir. J’ai réuni les militaires et les civils qui travaillaient avec moi et je leur ai dit : “Rentrez chez vous, la situation devient dangereuse. Ne restez pas ici, s’il vous plaît.” La nuit a été longue. »

Le 13 octobre, le général venu négocier un cessez-le-feu à l’ambassade de France est placé sous la protection de la France, le printemps libanais est vaincu. Aoun et les siens restent dix mois confinés à l’ambassade. « L’ambassadeur de France, René Ala, et sa femme sont devenus plus que des amis. Ils nous ont aidés à supporter cette épreuve. Je parlais avec René Ala tous les soirs. »


Dans la nuit du 27 août 1991, le général est exfiltré. Une voiture leurre quitte l’ambassade de France en pleine nuit et fonce vers l’aéroport. C’est le début de l’opération Hortensia. Un autre véhicule emmène Aoun et deux de ses ministres à Golden Beach. Un Zodiac et des hommes des commandos Hubert les attendent sur la plage. « Nous enfilons des combinaisons imperméables par-dessus nos costumes, je me serais cru dans un film de James Bond », m’a raconté le général Maalouf. Les trois hommes mettent le pied sur l’aviso « Quartier-Maître Anquetil ».


 La nuit suivante, un Zodiac les débarque sur le rivage chypriote. L’arrivée, assez mouvementée, ne se passe pas tout à fait comme prévu (un « malentendu » avec les Britanniques). Des hommes du Raid sont obligés de cisailler le grillage de l’aéroport où le général et ses deux grognards s’engouffrent dans un Falcon blanc. Objectif la base aéronavale de Hyères.

Le surlendemain, je rejoins Michel Aoun à la villa Gaby à Marseille. Première station, ironique et presque douce, de son exil en France. La villa, qui fait face au château d’If, avait été offerte par le roi du Portugal à la danseuse Gaby Deslys réputée pour ses descentes d’escalier avec des plumes dans les fesses. Le soleil, la mer, les falaises avaient les couleurs du rivage beyrouthin. Aujourd’hui, il se souvient qu’il avait alors reçu une lettre de François Mitterrand : « Le gouvernement fera le nécessaire pour que vous soyez traité en hôte éminent de la France. »


En février 1993, l’État français déménage le général. Aoun souhaite se rapprocher de Paris. Il s’installe à Crécy-la-Chapelle, non loin d’EuroDisney. Je vais reconnaître les lieux avant son arrivée. Autour de la maison, déjà, des herses, des vitres blindées, des portiques de sécurité, des CRS, les hommes du Raid et même un hélicoptère stationné à proximité pour évacuer le général en cas d’attaque à force ouverte.


 Les Syriens n’avaient pas caché qu’ils voulaient sa peau. La France ne lésine pas sur la sécurité de ce réfugié singulier. Dans les brouillards d’Ile-de-France, Michel Aoun n’est plus un rebelle en battle-dress, mais un homme abandonné en « pays pluvieux », comme dirait Baudelaire.
 

Il passe des journées au téléphone à parler du Liban avec ses compatriotes. Il faut le voir alors bêchant son jardin pour y planter un cèdre ou coupant du bois dans la forêt, toujours entouré d’une protection policière. « En me voyant ainsi, levant ma hache et surveillé par tous ces hommes, il arrive que je me prenne pour un forçat. » Pour la première fois, je l’avais senti humilié par son statut : hôte d’Etat ou prisonnier politique ? J’essaie de rompre cet enfermement en l’invitant à la Saint-Vincent des vignerons de Vert-Toulon, en Champagne, mais Charles Pasqua lui refuse son autorisation de sortie. Il faut que le Premier ministre, Edouard Balladur, lève l’interdiction. La dernière étape de son exil est Paris, un appartement un peu vide, qu’il considère comme un lieu de passage.