Création le 7 août 2016
« C’est dans la langue arabe que les sciences ont été transmises, par traductions, venant de toutes les parties du monde ; elles y ont été embellies, s’insinuant dans les cœurs ; et les beautés de cette langue ont circulé avec elles dans nos artères et dans nos veines » (Al Bîrûnî - 1047).
Ou encore : "La catégorie des nations qui a cultivé les sciences forme l’élite et la partie essentielle des créatures d’Allah. Ces nations, en effet, ont tendu à acquérir des vertus de cette âme raisonnable qui fait l’espèce humaine et corrige la nature » ( Sâ’id al-Andalusi - historien tolédan du XIème siècle).
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Lors de l’exposition présentée à l’Institut du Monde Arabe de Paris, fin 2005, et consacrée à l’Âge d’or des sciences arabes, Actes Sud a publié un « beau livre » sur cette exposition. En voici la recension.
L’introduction est faite par Ahmed Djebbar, qui est mathématicien et chercheur en histoire des sciences au sein du laboratoire Paul Painlevé (CNRS) ; il est spécialisé dans les mathématiques de l’Occident musulman (Espagne musulmane et Maghreb). Il fut aussi auparavant, conseiller du président algérien Mohamed Boudiaf, assassiné le 29 juin 1992. De juillet 1992 à avril 1994, il occupa le poste de ministre de l’Éducation et de la Recherche en Algérie dans les gouvernements de Bélaïd Abdessalam et de Redha Malek.
On regardera d'abord avec intérêt les deux vidéos suivantes :
https://www.youtube.com/watch?v=4GbYbZGZnMI
À partir du VIII ème siècle, une civilisation originale et puissante, portée par une nouvelle religion, l’Islam, s’est affirmée des confins de l’Asie centrale aux contreforts des Pyrénées. Elle a fait progresser les « sciences humaines » aussi bien que les « sciences rationnelles », ajoutant aux sciences traditionnelles des Grecs de nouveaux chapitres tels que l’algèbre, l’analyse combinatoire, la trigonométrie, la physique, la médecine, la botanique, la chimie et la zoologie.
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Astrolabe |
Compte tenu de l’immensité de l’Empire musulman, le développement des sciences n’a pas connu le même essor. De même, le dynamisme a été freiné par la perte de l’Andalus, de la Sicile, par l’action des Croisés en Méditerranée orientale et des Mongols en Perse.
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Naissance de Tamerlan |
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ÉCLIPSE |
L’astronomie est devenue rapidement la discipline reine, en particulier parce qu’elle a bénéficié du soutien du pouvoir politique et de l’élite. Pour la médecine, il a fallu attendre le Xème siècle pour qu’elle devienne une sous-discipline de la physique, et les hôpitaux étaient plutôt situés dans le centre de l’Empire. En agronomie, la disparition des frontières politiques a eu une conséquence heureuse : la multiplication des échanges de fruits et légumes, d’arbres et de fleurs, ainsi que celle des machines hydrauliques.
Il faut préciser qu’avant l’avènement du papier, tous les calculs se faisaient soit mentalement, soit sur des planches à poussière qu’on effaçait régulièrement pour de nouvelles utilisations. Le papier permettait une utilisation « sans effaçage ».
L’accroissement régulier des effectifs de l’administration a été un deuxième facteur d’utilisation du papier. Enfin le développement des disciplines religieuses et profanes, l’absence de droits d’auteurs a favorisé la production de documents écrits sur papier. On estime à environ quatre millions d’écrits arabes conservés dans les bibliothèques privées et publiques du monde, et c’est une petite partie de ce qui a été réellement produit du VIII ème au XIX ème siècle. La corporation des copistes et celle des relieurs ont connu une forte expansion, et encore plus celles des calligraphes et des miniaturistes. Enfin les contrôleurs des marchés s’intéressaient particulièrement aux fraudes ou aux malfaçons pour le choix des chiffons, l’intensité du pilonnage de la matière première, la durée de la fermentation, etc.
ASTRONOMIE ET ASTROLOGIE
L’astronomie arabe avait dénombré les étoiles et les avaient organisées en un système de maisons lunaires, qui servait principalement de calendrier agricole. Avec des emprunts indo-iraniens et greco-hellénistiques, les astronomes arabes purent par exemple définir exactement l’inclinaison de l’axe de la terre, ou la déclinaison du soleil. Ils perfectionnèrent l’astrolabe, ce qui était d’une importance primordiale pour les musulmans qui devaient accomplir les cinq prières quotidiennes en direction de La Mecque. En résumé, on peut dire que l’histoire de l’astronomie arabe est l’histoire d’un flux ininterrompu d’idées entre l’Orient et l’Occident, où à certains moments les frontières entre les deux mondes s’estompent.
L’astrologie islamique a longtemps entretenu des rapports ambivalents avec l’astrologie. Elles étaient toutes deux considérées comme des disciplines complémentaires sous le nom de « science des astres ». Bien que considérée comme incompatible avec la religion, l’astrologie n’en restait pas moins séduisante. Les cours califales n’hésitaient pas à contourner les interdits pour faire appel aux services d’astrologues et trouver des réponses aux questions cruciales de leur règne.
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Réunion de savants |
MATHÉMATIQUES
La première tradition est « locale », semblable à ce qu’on a découvert dans certaines tablettes cunéiformes d’origine babylonienne. La seconde tradition est d’origine indienne, avec le système décimal basé sur les chiffres de 1 à 9 avec le zéro, les notions de sinus et cosinus. La troisième tradition est celle des mathématiques grecques, en particulier la géométrie et l’arithmétique. Mais de grands progrès sont faits dans la résolution d’équations, l’analyse combinatoire, l’algèbre et la trigonométrie (par exemple la tangente et la cotangente).
LE CORPS HUMAIN
Avicenne (Ibn Sinâ, 980-1037) récapitule la classification des parties du corps dans le Canon de la médecine. Il décrit le trajet du sang dans le corps humain, formé dans le foie, passe par le cœur, reçoit l’air venu des poumons … et devient artériel. Il cite aussi les variation inhérentes aux conditions climatiques. Al Râzî est l’auteur qui a poussé le plus loin l’enregistrement des données tirées de son expérience pratique. Outre l’écriture de nombreux ouvrages, il n’a cessé d’accumuler tout le long de sa vie des notes pour son propre usage.
Le plus ancien hôpital semble avoir été construit à Bagdad au temps de Hârûn al-Rashïd (786-809). Le savant al-Bîrûnï écrit un livre de la pharmacie en médecine. Le perfectionnement des techniques pharmaceutiques est l’un des points forts du savoir arabe du IXème au XIIIème siècle.
LA MÉCANIQUE
La mécanique utilitaire a surtout concerné les problèmes de l’acheminement de l’eau. Dans le Recueil utile de la théorie et de la pratique dans les procédés ingénieux d’ al-Jazari (XIIème siècle), l’auteur décrit des systèmes sophistiqués, dont certains ont été réalisés, comme la machine construite vers le milieu du XIIIème siècle sur la rivière Yazid, et qui a fonctionné jusqu’au milieu du XXème siècle.
Mais on trouve aussi dans les ouvrages des systèmes ingénieux pour réaliser des engins de levage, des systèmes de ventilation, des moulins à eau ou à vent, des serrures à combinaison, des lampes automatiques et même un tourne-broche.
Dès le IXème siècle, les premiers techniciens arabes avaient à leur disposition, à travers la traduction, des textes grecs donnant des solutions ingénieuses à la mesure du temps. Que ce soit des clepsydres ou des horloges mécaniques.
À partir d’un héritage probablement d’origine persane, les techniciens des armées musulmanes ont introduit très tôt les instruments de siège, en particulier les catapultes à usages multiples : boulets en pierre, flèches, boules de naphte, fusées éclairantes, bombes asphyxiantes, et même des récipients remplis de serpents ou de scorpions pour terroriser les assiégés.
Curieusement, l’auteur ne traite pas de la trempe de l’acier de Damas, qui permettait d’avoir des sabres plus solides que ceux des armées adverses. (Roland de Roncevaux, si tu nous lis !)
AUTRES
Ce livre, très complet, fait découvrir tant de choses, à en devenir érudit. L’optique, l’architecture, la musique, les automates de divertissement, les objets d’art, tout cela présenté par des auteurs de nombreux pays.
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Instruments oculaires |
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Traité d'anatomie |
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Albarelle |
LA PLACE DES SCIENCES ARABES DANS L’HISTOIRE
Les penseurs et artisans qui ont suscité l’essor intellectuel de l’Occident au cours de la Renaissance ont été inspirés par différents prédécesseurs, la plupart grecs, mais aussi égyptiens, chaldéens, chinois, indiens … qui leur ont légué toutes leurs avancées dans quasiment tous les domaines à caractère scientifique et technique.
Comme le conclut Jean Audouze, « l’Islam d’alors se caractérisait par une très grand tolérance, comme en témoigne le fait que des chrétiens et des juifs ont pu être eux-mêmes de grands savants. Cela montre que la science ne se développe que dans les sociétés particulièrement cultivées où l’économie et le commerce sont en bonne santé, et elle constitue le segment d’un cercle vertueux où l’économie favorise la science qui elle-même génère profits et richesses de tous ordres, tant matériels que spirituels. »