SULTANE CHAGARAT AL-DURR



Création le 26 décembre 2015

La courtoisie orientale suppose que l’on commence les négociations par des salamalecs, Al Kâmil s’enquit d’abord si ses deux hôtes n’avaient pas été trop dérangés la nuit par les bruits du camp. Il leur présenta ses regrets du fait que la veille ils avaient été enchaînés ; il ordonna qu’on les déliât et qu’on leur massât les chevilles avec un onguent. Aimaient-ils l’équitation ? le souverain proposait de leur offrir un cheval arabe. Puis vint la question attendue : « Que nous vaut l’honneur de cette visite ? ».




La scène se passe en Égypte, pendant la croisade de Saint Louis. L’un des deux hôtes du sultan est … Saint François d’Assise !

*********************************

Azza Heikal, l’auteur du livre « Il était une fois une sultane Chagarat al-Durr », est née à Alexandrie. Docteur es lettres, elle a enseigné à l’ Université d’Alexandrie, ainsi qu’à la Sorbonne, Université de Paris IV et à l’Institut National des Langues Orientales (« Langues O ») .

******************************

Al-Malik al-Kâmil Nâsîr ad-Dîn « le Parfait » est un vice-roi d'Égypte sous le règne de son père Al-Adel, puis un sultan ayyoubide d'Égypte de 1218 à 1238 et de Syrie de 1237 à 1238. Il est fils du sultan ayyoubide Al-Adel et le neveu de Saladin. 


Au début du mois de juin 1218, la cinquième croisade débarque en Égypte devant Damiette et assiège la ville. Al-Kâmil se porte au secours de la ville, parvient à contenir les Croisés et à les empêcher d’achever d’encercler Damiette, en leur infligeant des pertes sévères. Mais le 24 août 1218, un navire croisé réussit à prendre la tour de la chaîne, donnant ainsi à la flotte croisée l’accès au bras du Nil. 

La tactique d’Al-Kâmil contre les Croisés, uniquement défensive, suscite le mécontentement de l’armée musulmane et un de ses lieutenants, Imad al-Dîn ibn Meshtub, émir de Naplouse, tente un coup d’État pour le renverser et le remplacer par un de ses frères, Al-Fa’iz, plus docile. Ne se sentant plus en sécurité au sein de l’armée égyptienne, Al-Kâmil abandonne le camp dans la nuit du 4 au 5 février 1219 entraînant la dispersion de son armée et laissant le champ libre aux Croisés.

Saint François d'Assise est considéré comme le précurseur du dialogue interreligieux. C'est la raison pour laquelle sa ville natale a été choisie par le Pape Jean-Paul II comme siège de la journée mondiale de prière en 1986. Cette journée a été suivie d'autres journées de prière connues sous le nom de rencontres d'Assise. Le Pape actuel de l'Église de Rome a pris le prénom de François en signe de pauvreté, d'espérance et soumission à Dieu.


****************************


En faisant des recherches complémentaires sur internet, nous avons trouvé ces sites, qui peuvent être consultés avec intérêt :


http://horizons-d-aton.over-blog.fr/

http://www.etoile-egypte.net/lessites/commentaire-165-Horizons_d-Aton.php
 

****************************

Le prince Al Sâlih, fils de Al-Kâmil et d’une esclave soudanaise, était un homme violent, qui avait fait le projet de renverser son père. Dénoncé par une femme du harem, il fut exilé aux confins de la Mésopotamie. Il regrettait amèrement les bords du Nil lorsque, au milieu de ses esclaves, surgit la jeune fille aux yeux de jais  qui allait transfigurer son existence et illuminer sa vie ; elle fut le seul être au monde qu’il ait jamais aimé. Fait exceptionnel à cette époque, il se sépara des épouses de son harem, ne désirant conserver que cette unique femme à qui il voua un culte passionné.

(Il faut noter que Al-Sâlih appartenait à la valeureuse dynastie des Ayyubides dont Saladin, le glorieux fondateur, s’était distingué par sa piété, sa vaillance, sa générosité et sa courtoisie chevaleresque. Même ses ennemis, les combattants de la IIIème croisade, répandirent en Europe une image idéalisée qui incarnait les qualités de la noblesse féodale.)



 À la mort de son père, il décide de conquérir le trône, mais des drames inextricables se tramaient à chaque étape, jusqu’à l’emprisonnement. Il n’en sortira que grâce à la diplomatie de sa femme, laquelle fut qualifiée par un chroniqueur du XIII ème siècle de « la femme la plus astucieuse de l’époque ». Finalement, grâce au soutien des Mamelouks, il fait son entrée triomphale au Caire. La beauté de Chagarat al-Durr est célébrée avec emphase :

« Ses cheveux sont semblables à la nuit qui baisse ses voiles
Et ses joues ont l’éclat des bougies
Sa silhouette est un cyprès ruisselant de pluie
Dans un jardin à l’entrée consignée
Les traits de sa beauté sont ceux de la gazelle
Sa splendeur est comparable à la lune qui se lève. 
»

Et on peut ajouter que ses parures et bijoux n’étaient pas à la portée de n’importe qui.

Pas étonnant que Al-Sâlih se soit entiché d’elle au point d’obéir en tout à ses conseils éclairés. Elle exerçait  sur lui un tel ascendant qu’il perdait toute fatuité en sa présence. Et même, lors de ses multiples expéditions militaires, faute de pouvoir l’emmener, il lui confiait la haute administration de l’Égypte. Quant à lui, il se préoccupait d’avoir une garde prétorienne formée de Mamelouk, achetés jeunes dans la région du Caucase, et très appréciés pour leurs qualités guerrières. Les esclaves noirs, eux, étaient utilisés en tant qu’eunuques. 


Si Al-Sâlih n’aimait pas lire, il s’intéressait énormément à l’architecture, à la chasse, aux cérémonies fastueuses. Tout semblait sourire au souverain d’Égypte, son armée volait de victoire en victoire, sa femme chérie avait un fils, ils étaient acclamés partout, jusqu’au moment où … il fit assassiner, entre autres, son demi-frère qu’il emprisonnait depuis huit ans. C’est le début d’une série mauvaise : il tombe malade, son fils décède, son épouse ne peut plus avoir d’enfant …

LA CROISADE DE SAINT LOUIS

Le roi de France, Louis IX, avait fait vœu de se croiser s’il guérissait d’une grave maladie. Il voulait aussi faire une alliance avec les Mongols pour placer les musulmans en position critique. Mais les Mongols n’acceptèrent une telle alliance qu’à condition que Louis devienne leur vassal, ce que le roi de France ne pouvait évidemment accepter. Louis IX envoya une déclaration de guerre au sultan d’Égypte (concernant la reconquista d’Andalousie) :

« Nous avons chassé les vôtres devant nous comme des troupeaux de bovins, nous avons tué leurs hommes, leurs femmes sont réduites au veuvage, nous amenons en captivité leurs filles et leurs garçons … Je te fais savoir et t’avertis que l’armée à laquelle je commande couvre la plaine et la montagne. Elle est aussi nombreuse que les cailloux du sol. Mes soldats viennent à toi armés du glaive de la justice divine. »

Al Sâlih répond aussi sec :

« Insensé, as-tu oublié les terres que vous occupiez et que nous avons conquises par le passé, et même tout récemment ? As-tu oublié les dommages que nous vous avons causés ? … Ta défaite est inéluctable. Dans quelques temps, tu regretteras amèrement l’aventure dans laquelle tu t’es engagé. »

La devise de Louis IX est curieusement « Dieu le veut » traduction de « Incha’ Allah » ! L’armée franque débarque à Damiette, 100 000 hommes avides de gloire. Damiette est conquise sans combat. Al Sâlil s’apprête à châtier le général en chef  Fakhr al Dîn et ses adjoints, lorsque Chagarat al-Durr intercède auprès du sultan pour qu’il y renonce : les circonstances exigent la patience. Comprenant que c’est à cette femme à la main de fer qu’il  devait d’être gracié, Fakhr al Dîn l’assure de son dévouement et de sa fidélité.

Et c’est une guérilla sans merci qui harcèle les Croisés. L’un des bédouins imagine même de creuser une pastèque et d’y cacher sa tête, avant de s’approcher à la nage des lignes ennemies ; un Croisé s’étant avancé pour prendre la pastèque, notre homme se jette sur lui et le fait prisonnier. 


L’armée du sultan se fortifie à Mansourah (La victorieuse). Épuisé par la douleur, Al Sâlih se fie à Chagarat al-Durr pour  décider de toute initiative ultérieure et diriger les affaires en attendant le retour de Mésopotamie de son fils Turân Châh qu’il a choisi comme successeur, mais qu’il avait néanmoins exilé au loin ... par mesure de précaution. Prévenus par leurs espions, les Francs ont connaissance de la mort de Al Sâlih, et font mouvement vers Mansourah. En revanche, dans le camp égyptien, la nouvelle du décès du sultan est demeurée secrète à l’instigation de Chagarat al-Durr, pour ne pas démoraliser ses troupes.
 

 *******************************


 Le détail de la bataille de Mansourah est bien donné dans le site :

http://aufildesmotsetdelhistoire.unblog.fr/2013/02/09/le-8-fevrier-1250-%E2%80%93-la-bataille-de-mansourah/



alors que le rôle de Chagarat al-Durr est bien reconnu dans le site :

http://www.islamophile.org/spip/La-bataille-de-Fariskur.html

qui traite également de la bataille "finale" de Fariskur.


 Enfin la capture de Pierre Mauclerc, chef du contingent de la noblesse bretonne et normande, est détaillée dans le site de Persée :

**********************************

Grâce aux pigeons voyageurs, la population du Caire apprend rapidement la nouvelle de l’attaque franque. D’abord terrorisé, le Caire est en liesse à la nouvelle de la victoire, tandis que Turân Châh accélère son retour de Mésopotamie. Les troupes franques sont épuisées par les luttes incessantes auxquelles s’ajoutent la famine, les maladies, les tempêtes de sable, les terrains boueux.

C’est alors que Louis IX, constatant la situation intenable de ses troupes, tente de négocier, espérant profiter de l’occupation d’une partie de l’Égypte. Il offre de libérer Damiette contre Jérusalem. Les émir lui répondent que c’est trop tard. L’armée franque est assaillie à Fariskur. 



 Cerné, le roi de France demande l’aman, qui lui est accordé. Son emprisonnement dure un mois, le temps de rassembler la rançon. En retour, les Croisés ont ramené d’Orient les prunes (acclimatées en Touraine), la fleur de lys, dérivée du lotus, le jeu d’échec, et pour certains auteurs … la fabrication du fromage de chèvre !

Mais de son côté, Turân Châh accumule la débauche et sa haine des Mamelouks. Pire, il s’en prend à Chagarat al-Durr, lui réclamant les comptes de sa gestion et en lui demandant la restitution de la fortune et des bijoux de son père. Indignée, elle ameute ses Mamelouks qui forment le projet de tuer Turân Châh, lequel court en direction du Nil afin de se sauver dans sa chaloupe. Il se jette dans le fleuve et achevé à l’épée.

Donc, il est décidé, d’un commun accord, d’élever au trône d’Égypte Chagarat al-Durr, le 4 mai 1250, même si certains émirs refusent en invoquant la tradition musulmane. Soutenue par ses Mamelouks, elle se contente du titre de « Reine des musulmans » titre quasi sacré, mais pour ses adversaire, la corruption du siècle. Sitôt fait, elle entreprend de libérer Louis IX. Selon le traité de paix, on rend la liberté au roi de France dès qu’il aura versé 400 000 dinars de rançon suivant les uns, d’indemnisation suivant les autres. On relâche aussi les autres prisonniers. La fin de la guerre est célébrée en musique au Caire, une innovation qui perdure.

Mais ce n’est pas terminé ! Le khalife de Bagdad exprime son indignation et sa réprobation de voir une esclave régner sur l’humanité :
- S’il n’existe pas un homme parmi vous, je vous enverrai un homme d’ici …

La menace doit être prise au sérieux. La solution : le mariage de la Sultane avec un homme ! Ce sera le Mamelouk Aybak, son compagnon,  d’enfance, qui est élevé à la dignité de sultan, prélude à trois siècles de domination d’officiers esclaves en Égypte … Mais le sultan d’Alep, furieux de l’assassinat de Turân Châjh, avance vers l’Égypte avec son armée. Les Syriens sont finalement mis en déroute.

La suite fatale du conte oriental : le sultan Aybak se livre à un certain nombre d’assassinats, et la domination de Chagarat al-Durr devient tellement insupportable qu’ Aybak ne tolère plus sa présence et veut prendre une seconde femme. Chagarat al-Durr ne peut plus supporter un tel affront, et elle décide de faire périr Aybak et d’épouser son rival ! Ses sbires se chargent du travail. Le 12 avril 1257, pour masquer le crime, on prétend que le sultan est mort subitement dans la nuit, et on fait venir des pleureuses.

Le fils d’Aybak est proclamé sultan. Chagarat al-Durr est battue à mort et son cadavre est jeté aux chiens du haut des remparts. Quelques jours plus tard, on recueille son corps déchiqueté pour l’ensevelir dans un mausolée qu’elle avait eu la prévoyance d’édifier dès 1250. Le cénotaphe en bois porte cette inscription qui interpelle tout visiteur :

« Ô vous qui vous tenez près de ma tombe, ne soyez pas surpris de ma condition ;
Hier j’étais comme vous. Demain, vous serez comme moi.
 »