Création le 18 février 2015
On découvre, en lisant ce livre, que le guerres napoléoniennes furent loin d’être limitées à l’Europe ; on y suit un jeu diplomatique subtil et plein de rebondissements ; la stratégie napoléonienne s’y révèle d’une plus grand ampleur. ( Jean Tulard, de l’Institut, auteur de nombreux livres et préfacier du livre d’Iradj Amini : Napoléon et la Perse).
En 1796, la France et la Perse commencent à émerger chacune de son côté d’une période d’incertitude. Il leur importait de renouer des relations prometteuses qui, sous le règne de Louis XIV avaient été interrompues en 1722 par la chute de la dynastie des Safavides. Ce rapprochement était d’autant plus souhaitable que la France, alors ennemie de la Russie et de l’Angleterre, avait tout intérêt à se lier avec un pays qui se battait contre la première et avait tout à craindre des ambitions régionale de la seconde.
Commence pendant deux ans un ballet diplomatique entre Téhéran et Paris, qui, d’espoirs en désillusions, se brisera contre la rivalité de l’Angleterre et l’intransigeance de la Russie.
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Le jeune officier Bonaparte avait fait de nombreuses lectures sur l’Orient. À Ajaccio, il rencontre Constantin Volney qui a voyagé en Egypte, en Syrie et en Turquie. L’estime est réciproque. Volney dira de Bonaparte en 1796 : « Pour peu que les circonstances le secondent, ce sera la tête de César sur les épaules d’Alexandre. »
C’est qu’en 1795, le général Bonaparte s’ennuie tellement au bureau topographique du Ministère de la Guerre qu’il songe à prendre du service dans l’armée du sultan turc. Volney l’en dissuade … et Bonaparte devient commandant en chef de l’armée d’Italie.
En avril 1797, Bonaparte reçoit la visite du citoyen Verninac de Saint-Maur, qui a été l’un des ambassadeurs les plus actifs auprès de la Porte Ottomane. Ce dernier informe Bonaparte des vexations que les citoyens français subissent en Egypte. Il y a bien longtemps que l’autorité du sultan ottoman n’est que virtuelle, les beys Mourad et Ibrahim et leurs Mamelouks y faisant la pluie et le beau temps.
Verninac a envoyé le citoyen Dubois-Thainville pour ramener en vain les beys à la raison. Le dit citoyen est formel : « Je te le répète, citoyen, maitres de la mer Rouge, nous ne tarderions pas à donner la loi aux Anglais et les chasser de l’Inde si une pareille opération (la conquête de l’Egypte) entrait dans les vues du gouvernement. Par Suez, dans la mousson favorable, on pourrait transporter avec peu de navires une quantité de troupes dans l’Inde. Nos soldat ne pourraient tout au plus ne rester que soixante jours en mer au lieu que par le cap de Bonne Espérance, il n’est pas rare qu’ils mettent six mois à se rendre. »
Cela n’est pas tombé dans l’oreille d’un sourd. Bonaparte écrit au Directoire, entre autres : « Les temps ne sont pas éloignés où nous sentirons que pour détruire véritablement l’Angleterre, il faut nous emparer de l’Egypte. »
Talleyrand, ministre des Affaires Extérieures, est du même avis. Cependant le Directoire, jaloux de la popularité croissante de Bonaparte, le nomme général en chef de l’armée d’Angleterre. Bonaparte n’est pas chaud. La marine française n’est pas de taille à se mesurer à la marine anglaise. Reste la solution de faire « une campagne dans le Levant qui menaçât le commerce des Indes. »
Le jeune Pierre-Victor Michel, secrétaire d’ambassade de France en Turquie, est mandaté pour signer en septembre 1708 un traité commercial. Mais la Compagnie des Indes qui aurait pu en tirer un bénéfice ne fait rien pour cela. La Perse décide en 1714 d’envoyer une ambassade en France. Le voyage est rocambolesque. Pour ne pas inquiéter les Turcs, l’ambassadeur perse prétend aller à la Mecque. Mais les Turcs l’emprisonnent pour prétendues dettes au passage. L’ambassade de France paie les dettes et fait enlever le Perse avec son consentement.
Celui-ci est reçu en grande pompe à Versailles, mais propose au roi d’envahir l’Oman. Prudence, prudence. D’ailleurs c’est la Perse qui est envahie par les Afghans lesquels sont chassés par Nader Shah qui pousse jusqu’à Delhi où il s’empare par inadvertance du fameux diamant Koh-I-Noor (montagne de lumière). Après de nombreuses pérégrinations, le Koh-I-Noor atterrit, toujours par inadvertance, dans la cassette de la reine Victoria.
Quelques assassinats plus tard, Napoléon entre en relation avec le nouveau roi : Baba Khan, plus connu sous le nom de Fath-Ali Shah. Voici comment : l’amiral anglais Nelson réussit à savoir où se cache la flotte française d’invasion de l’Egypte : c’est dans la baie d’Aboukir. Il attaque à la tombée de la nuit. Sa manœuvre conduit à l’anéantissement de la flotte française pour longtemps, et ruine les espoirs asiatiques de Bonaparte. Stratégiquement, la France est maintenant isolée.
Les Anglais pensent toujours possible une action de Napoléon contre leur possession indienne par la Perse et l’Afghanistan. Bourrienne, le secrétaire de Bonaparte a pensé que c’était un rêve qu’il aurait accompli s’il avait eu 45 000 hommes à sa disposition. Mais rien n’est moins sûr. Bonaparte pensait d’abord à verrouiller le sud-est de la Méditerranée. Mais la résistance anglo-turque de Saint Jean d’Acre, jointe aux maladies et au mal du pays du corps expéditionnaire français met un terme au rêve : À Sainte Hélène, Napoléon ne cessera de répéter : « Saint Jean d’Acre enlevée, l’armée française volait à Damas et à Alep. Elle eut été en un clin d’œil sur l’Euphrate ; les chrétiens de la Syrie, les Druses, les chrétiens de l’Arménie se fussent joints à elle … J’aurais atteint Constantinople et les Indes ; j’eusse changé la face du monde. »
Mais Bonaparte décide de quitter l’Egypte dès qu’il apprend, par les journaux anglais, la situation catastrophique dans laquelle le Directoire a plongé la France pendant son absence.
Le capitaine John Malcom, un espoir de la Compagnie des Indes, fin diplomate et connaissant le farsi, va représenter le gouvernement britannique des Indes auprès du Shah. «The last but not the least », il abhorre les Français, qu’il appelle « ces démocrates infâmes mais actifs. » Il arrive à Bouchehr en février 1800.
De mai à novembre, il traverse la Perse avec une immense suite civile et militaire, du jamais vu. L’objectif politique (contre les Afghans et les Français) s’efface. Malcolm dédramatise et accentue le côté commercial. De son côté, le Shah, voyant l’étoile de Bonaparte monter au firmament européen, se met à songer à remplacer l’influence anglaise, si défaillante quand il s’agit de faire face aux Russes. Le parti de Fath-Ali Shah est vite pris : par l’intermédiaire d’un Arménien, il fait des avances à Napoléon. Le cheikh Oil Islam d’Esphahan dit à son ami Rousseau : « rien ne flattait tant le roi de Perse que de recevoir quelques marques d’amitié de la part de l’illustre chef de l’Empire français dont le nom de Grand Bonaparte retentit depuis longtemps dans ses États. »
Avril 1805. Napoléon reçoit son ancien secrétaire Bourrienne.
- À propos, Bourrienne, vous avez sûrement entendu parler du départ de Jaubert et de sa mission. Qu’est-ce qu’on en dit ?
- Son père que je connais bien est très inquiet au sujet d’un voyage dont la durée est ignorée.
- Alors, vous ne savez pas où il va ?
- Je vous demande pardon, Sire, je le sais très bien.
- Comment diable ?
- Personne, je puis vous le jurer, ne m’en a parlé ; mais je l’ai deviné.
Napoléon a décidé de hâter le processus du développement avec la Perse. Et Amédée Jaubert jouit d’une grande connaissance des mœurs et des susceptibilités orientales, à laquelle s’ajoute une bonne maîtrise de la langue persane. Napoléon veut tout savoir sur les moyens et les intentions de la Perse, en particulier ses relations de voisinage avec la Russie. Pour desserrer l’étau en Europe, il faut créer un second front aux Russes, et inquiéter les Anglais au sujet de leur possession en Inde. Tout cela est très secret. Jaubert voyage sous un faux nom, et un autre diplomate revient en France sous le nom de Jaubert !
Mais les Anglais, grâce à leurs informateurs persans, ont vent de l’affaire. Mais Romieu, un deuxième émissaire de Napoléon , au cas où, tient un discours empanaché au conseiller du Shah :
- Si la cavalerie de Perse, qui passe pour la meilleure de tout l’Orient, était soutenue par une artillerie mobile à l’instar de la nôtre, elle pourrait braver dans les plaines de l’Asie toutes les forces russes, turques et anglaises.
Après s’être enquis de la santé de l’Empereur auprès de Romieu, le Shah poursuit :
- Quand les Empereurs de Perse et de France seront unis, l’univers ne pourra pas leur résister. Je désire beaucoup faire une alliance avec votre Empereur ; c’est le seul monarque de l’Europe sur la parole duquel on peut compter, parce qu’il est vraiment grand et que les autres sont des menteurs.
Romeu tombe malade et, avant de décéder, brosse un portrait haut en couleur de Fath-Ali Shah : chéri du peuple, sévère pour les Grands, religieux sans être dévot, honnête homme et fidèle à ses promesses. Mais il a aussi des défauts : il est détesté par l’armée à cause de son avarice et sa négligeance à récompenser les belles actions ; il aime les femmes « à la fureur » et par centaines, des enfants par dizaines ; il aime aussi trop la chasse et les bijoux.
En fait les véritables inquiétudes des Persans viennent du côté de la Russie et ce n’est que contre elle qu’ils recherchent l’alliance française. Dépourvus de toute marine crédible, ils n’ont ni le désir ni les moyens de s’opposer à l’Angleterre.
Mais Jaubert arrive enfin en Perse. Il est kidnappé, ainsi que son escorte, par un potentat local, qui le garde en cul de basse fosse pendant huit mois. Il est libéré grâce à l’action énergique du ministre turc des Affaires Étrangères. Arrivé à la Cour du Shah, le maitre des cérémonies le présente en ces termes : « Un Français envoyé près de toi pour te présenter le salut et te porter une lettre contenant des paroles qui sont comme autant de perles tirées du fond de la mer de l’amitié. »
Après un long silence, Fath-Ali Shah répond :
- Soyez le bienvenu.
Et lui permet de garder ses bottes et de s’asseoir près de lui. Il l’invite à venir avec lui au camp de Soltanieh. Tout cela est de la veine d’un feuilleton télévisé à grand spectacle, tandis qu’en Europe, les alliances se font et se défont.
En 1807, Napoléon, après la semi-victoire d’Eylau, ressent la nécessité de conclure un traité avec la Perse. Le plénipotentiaire sera les général Claude-Mathieu de Gardane, avec trois objectifs :
- Étudier les obstacles qu’une armée de 40 000 hommes aurait à franchir pour se rendre aux Grandes Indes ;
- Conforter l’inimitié entre la Perse et la Russie ;
- Entraver par tous les moyens le commerce de la Compagnie des Indes anglaise.
Avec à la clé l’envoi d’un corps expéditionnaire d’une dizaine de milliers d’hommes.
Au traité de Finkelstein, signé le 4 mai 1807 :
La France reconnait l’appartenance de la Géorgie à la Perse, à instruire l’infanterie et l’artillerie persanne ;
La Perse s’engage à déclarer la guerre à l’Angleterre et à s’entendre avec les Afghans pour marcher sur les possessions anglaises de l’Inde.
Le shah envoie son ambassadeur en France un des chefs les plus réputés du pays, le général Askar Khan Afshar. Mais au traité de Tilsit avec la Russie, la France ne soutient pas les revendications de la Perse. Et l’envoyé russe en Perse en tire le plus grand profit, à savoir que le shah est le dindon de la farce !
Puis c’est le jeu du chat et de la souris anglo-franco-russo-persan en attendant de savoir qui sera le prochain vainqueur en Europe.
Askar Khan Afshar arrive en France et séduit la société parisienne. Le Journal de l’Empire en fait son éloge : « Son Excellence a le soin de faire asseoir les Européens sur des fauteuils. Elle s’informe de leur nom, de leur état, examine leurs bijoux, leur fait examiner la richesse de son poignard armé de pierreries, leur offre de l’essence de rose, enfin justifie par son urbanité la qualification de Français de l’Asie donnée aux Persans. » Il avait aussi fait envoyer à Napoléon vingt trois chevaux conduits par douze Persans. Quant à Talleyrand, il était crédité d’avoir encouragé l’enseignement de la langue persane en France.
Askar Khan Afshar veut tout voir, il est invité partout, que ce soit à l’Opéra, à la machine de Marly, à la Bibliothèque Impériale. Il aime aussi à assister aux séances de physique expérimentale, en y montrant ses connaissance étendues du phénomène de l’électricité …
Mais l’amitié franco-persane est sacrifiée à l’amitié franco-russe. Et Napoléon est trop préoccupé par l’affaire d’Espagne. Gardane est quasiment désavoué, et c’est le déclin de l’influence française. Les Russes investissent Yerevan. Les Anglais arrivent en force dans le Golfe persique. Fath Ali Shah convoque Gardane : « Tout en est au point que la France ne peut peut-être plus venir à notre secours. » Gardane est au bout du rouleau. Il n’a qu’une envie (que partage son épouse), c’est de quitter le piège qu’est devenue sa fonction en Perse.
Malgré la victoire de Yerevan remportée par les troupes persanes formées par les instructeurs français, la délégation anglaise débarque à Bushehr et comble d’or la Cour du Shah. Les Anglais sont en position de force depuis que Napoléon, depuis l’entrevue d’Erfurt, tient plus que jamais à l’alliance russe, ne serait-elle que provisoire.
Gardant évoque son départ de la Perse, ce qui met en colère le Shah, qui considère cela comme une désertion. Le 12 février 1809, Gardane et les membres de sa légation prennent congé du Shah. À la fin de l’audience, le général Gardane se lève et salue le Shah en se retirant. Celui-ci, ne pouvant cacher son émotion, répète plusieurs fois en guise d’adieu : « Général, et vous, Messieurs les Français, vous avez été les bienvenus, les très bienvenus. »
Napoléon éprouve une colère singulière du départ de Gardane et lui reproche d’avoir abandonné son poste sans ordre en laissant le champ libre aux intrigues de l’Angleterre. Effectivement, le Shah jouera le jeu des Anglais. Il rappelle Askar Khan qu’il disgracie … Le comble est qu’en raison du renversement des alliances en Europe, les Anglais pressent la Perse de combattre la Russie, quitte à l’envoyer à la défaite. En 1813, le traité de Golestan consacrera la perte par la Perse d’une grande partie de son territoire, dont la Géorgie !
La reprise des hostilités entre la France et la Russie ressuscite l’espoir d’un nouveau rapprochement improbable franco-persan, condition nécessaire mais pas suffisante pour s’en prendre au commerce anglais aux Indes.
Ce livre éclaire d’un jour très intéressant la stratégie de Napoléon en Orient, aussi bien que celle des Anglais. Réflexion à transposer au XXIème siècle.
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Vous aurez intérêt à consulter :
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Celui-ci est reçu en grande pompe à Versailles, mais propose au roi d’envahir l’Oman. Prudence, prudence. D’ailleurs c’est la Perse qui est envahie par les Afghans lesquels sont chassés par Nader Shah qui pousse jusqu’à Delhi où il s’empare par inadvertance du fameux diamant Koh-I-Noor (montagne de lumière). Après de nombreuses pérégrinations, le Koh-I-Noor atterrit, toujours par inadvertance, dans la cassette de la reine Victoria.
Les Anglais pensent toujours possible une action de Napoléon contre leur possession indienne par la Perse et l’Afghanistan. Bourrienne, le secrétaire de Bonaparte a pensé que c’était un rêve qu’il aurait accompli s’il avait eu 45 000 hommes à sa disposition. Mais rien n’est moins sûr. Bonaparte pensait d’abord à verrouiller le sud-est de la Méditerranée. Mais la résistance anglo-turque de Saint Jean d’Acre, jointe aux maladies et au mal du pays du corps expéditionnaire français met un terme au rêve : À Sainte Hélène, Napoléon ne cessera de répéter : « Saint Jean d’Acre enlevée, l’armée française volait à Damas et à Alep. Elle eut été en un clin d’œil sur l’Euphrate ; les chrétiens de la Syrie, les Druses, les chrétiens de l’Arménie se fussent joints à elle … J’aurais atteint Constantinople et les Indes ; j’eusse changé la face du monde. »
Le capitaine John Malcom, un espoir de la Compagnie des Indes, fin diplomate et connaissant le farsi, va représenter le gouvernement britannique des Indes auprès du Shah. «The last but not the least », il abhorre les Français, qu’il appelle « ces démocrates infâmes mais actifs. » Il arrive à Bouchehr en février 1800.
Avril 1805. Napoléon reçoit son ancien secrétaire Bourrienne.
- À propos, Bourrienne, vous avez sûrement entendu parler du départ de Jaubert et de sa mission. Qu’est-ce qu’on en dit ?
- Son père que je connais bien est très inquiet au sujet d’un voyage dont la durée est ignorée.
- Alors, vous ne savez pas où il va ?
- Je vous demande pardon, Sire, je le sais très bien.
- Comment diable ?
- Personne, je puis vous le jurer, ne m’en a parlé ; mais je l’ai deviné.
Napoléon a décidé de hâter le processus du développement avec la Perse. Et Amédée Jaubert jouit d’une grande connaissance des mœurs et des susceptibilités orientales, à laquelle s’ajoute une bonne maîtrise de la langue persane. Napoléon veut tout savoir sur les moyens et les intentions de la Perse, en particulier ses relations de voisinage avec la Russie. Pour desserrer l’étau en Europe, il faut créer un second front aux Russes, et inquiéter les Anglais au sujet de leur possession en Inde. Tout cela est très secret. Jaubert voyage sous un faux nom, et un autre diplomate revient en France sous le nom de Jaubert !
Mais les Anglais, grâce à leurs informateurs persans, ont vent de l’affaire. Mais Romieu, un deuxième émissaire de Napoléon , au cas où, tient un discours empanaché au conseiller du Shah :
- Si la cavalerie de Perse, qui passe pour la meilleure de tout l’Orient, était soutenue par une artillerie mobile à l’instar de la nôtre, elle pourrait braver dans les plaines de l’Asie toutes les forces russes, turques et anglaises.
Après s’être enquis de la santé de l’Empereur auprès de Romieu, le Shah poursuit :
- Quand les Empereurs de Perse et de France seront unis, l’univers ne pourra pas leur résister. Je désire beaucoup faire une alliance avec votre Empereur ; c’est le seul monarque de l’Europe sur la parole duquel on peut compter, parce qu’il est vraiment grand et que les autres sont des menteurs.
Romeu tombe malade et, avant de décéder, brosse un portrait haut en couleur de Fath-Ali Shah : chéri du peuple, sévère pour les Grands, religieux sans être dévot, honnête homme et fidèle à ses promesses. Mais il a aussi des défauts : il est détesté par l’armée à cause de son avarice et sa négligeance à récompenser les belles actions ; il aime les femmes « à la fureur » et par centaines, des enfants par dizaines ; il aime aussi trop la chasse et les bijoux.
En fait les véritables inquiétudes des Persans viennent du côté de la Russie et ce n’est que contre elle qu’ils recherchent l’alliance française. Dépourvus de toute marine crédible, ils n’ont ni le désir ni les moyens de s’opposer à l’Angleterre.
Mais Jaubert arrive enfin en Perse. Il est kidnappé, ainsi que son escorte, par un potentat local, qui le garde en cul de basse fosse pendant huit mois. Il est libéré grâce à l’action énergique du ministre turc des Affaires Étrangères. Arrivé à la Cour du Shah, le maitre des cérémonies le présente en ces termes : « Un Français envoyé près de toi pour te présenter le salut et te porter une lettre contenant des paroles qui sont comme autant de perles tirées du fond de la mer de l’amitié. »
Après un long silence, Fath-Ali Shah répond :
- Soyez le bienvenu.
Et lui permet de garder ses bottes et de s’asseoir près de lui. Il l’invite à venir avec lui au camp de Soltanieh. Tout cela est de la veine d’un feuilleton télévisé à grand spectacle, tandis qu’en Europe, les alliances se font et se défont.
En 1807, Napoléon, après la semi-victoire d’Eylau, ressent la nécessité de conclure un traité avec la Perse. Le plénipotentiaire sera les général Claude-Mathieu de Gardane, avec trois objectifs :
- Étudier les obstacles qu’une armée de 40 000 hommes aurait à franchir pour se rendre aux Grandes Indes ;
- Conforter l’inimitié entre la Perse et la Russie ;
- Entraver par tous les moyens le commerce de la Compagnie des Indes anglaise.
Au traité de Finkelstein, signé le 4 mai 1807 :
La France reconnait l’appartenance de la Géorgie à la Perse, à instruire l’infanterie et l’artillerie persanne ;
La Perse s’engage à déclarer la guerre à l’Angleterre et à s’entendre avec les Afghans pour marcher sur les possessions anglaises de l’Inde.
Le shah envoie son ambassadeur en France un des chefs les plus réputés du pays, le général Askar Khan Afshar. Mais au traité de Tilsit avec la Russie, la France ne soutient pas les revendications de la Perse. Et l’envoyé russe en Perse en tire le plus grand profit, à savoir que le shah est le dindon de la farce !
Puis c’est le jeu du chat et de la souris anglo-franco-russo-persan en attendant de savoir qui sera le prochain vainqueur en Europe.
Askar Khan Afshar veut tout voir, il est invité partout, que ce soit à l’Opéra, à la machine de Marly, à la Bibliothèque Impériale. Il aime aussi à assister aux séances de physique expérimentale, en y montrant ses connaissance étendues du phénomène de l’électricité …
Mais l’amitié franco-persane est sacrifiée à l’amitié franco-russe. Et Napoléon est trop préoccupé par l’affaire d’Espagne. Gardane est quasiment désavoué, et c’est le déclin de l’influence française. Les Russes investissent Yerevan. Les Anglais arrivent en force dans le Golfe persique. Fath Ali Shah convoque Gardane : « Tout en est au point que la France ne peut peut-être plus venir à notre secours. » Gardane est au bout du rouleau. Il n’a qu’une envie (que partage son épouse), c’est de quitter le piège qu’est devenue sa fonction en Perse.
Malgré la victoire de Yerevan remportée par les troupes persanes formées par les instructeurs français, la délégation anglaise débarque à Bushehr et comble d’or la Cour du Shah. Les Anglais sont en position de force depuis que Napoléon, depuis l’entrevue d’Erfurt, tient plus que jamais à l’alliance russe, ne serait-elle que provisoire.
Gardant évoque son départ de la Perse, ce qui met en colère le Shah, qui considère cela comme une désertion. Le 12 février 1809, Gardane et les membres de sa légation prennent congé du Shah. À la fin de l’audience, le général Gardane se lève et salue le Shah en se retirant. Celui-ci, ne pouvant cacher son émotion, répète plusieurs fois en guise d’adieu : « Général, et vous, Messieurs les Français, vous avez été les bienvenus, les très bienvenus. »
Napoléon éprouve une colère singulière du départ de Gardane et lui reproche d’avoir abandonné son poste sans ordre en laissant le champ libre aux intrigues de l’Angleterre. Effectivement, le Shah jouera le jeu des Anglais. Il rappelle Askar Khan qu’il disgracie … Le comble est qu’en raison du renversement des alliances en Europe, les Anglais pressent la Perse de combattre la Russie, quitte à l’envoyer à la défaite. En 1813, le traité de Golestan consacrera la perte par la Perse d’une grande partie de son territoire, dont la Géorgie !
La reprise des hostilités entre la France et la Russie ressuscite l’espoir d’un nouveau rapprochement improbable franco-persan, condition nécessaire mais pas suffisante pour s’en prendre au commerce anglais aux Indes.
Ce livre éclaire d’un jour très intéressant la stratégie de Napoléon en Orient, aussi bien que celle des Anglais. Réflexion à transposer au XXIème siècle.
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