BATAILLE NAVALE D'ABOUKIR





Création le 23 février 2015`

L’excellent livre d’Anne Pons, longtemps responsable de la rubrique »Livres » au Point, a très bien souligné la rivalité terre-mer de deux pays, de deux hommes : Bonaparte et Nelson, en trois tableaux : Toulon, Aboutir, Trafalgar. Napoléon a plus tard regretté de ne pas avoir eu sous la main un autre Suffren. Il aurait pu dire un autre Nelson, voire un autre Leissègues.

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« Le tocsin qu'on va sonner n'est point un signal d'alarme, c'est la charge sur les ennemis de la patrie. Pour les vaincre, messieurs, il nous faut de l'audace, encore de l'audace, toujours de l'audace, et la France est sauvée. » (Danton)

L’occupation du port d’Anvers, face à l’embouchure de la Tamise,  par les Français fut un excès d’audace. Pour l’Angleterre, c’était non seulement un danger d’invasion, mais aussi un péril pour le commerce de l’empire colonial. La Convention vota la guerre contre l’Angleterre sans se rendre compte que la marine française n’était pas en mesure de la remporter : lenteur de la construction navale, manque d’entraînement des personnels, longs délais d’apprentissage propre au métier,  difficile relève des cadres royalistes. Dès juillet 1793, la France se trouve isolée face à l’Europe, et ses armées subissent revers sur revers.

Bonaparte traverse la mer pour la première fois à dix ans pour poursuivre ses études sur le Continent. Notation de l’inspecteur des écoles militaires : « À défaut d’être doué pour le dessin, la danse et la musique, le jeune Bonaparte fera un excellent marin. » À défaut d’entrer dans la Marine, Bonaparte se voit confier le commandement de l’artillerie de Toulon, ville assiégée par la flotte anglo-espagnole mais dont la population est majoritairement royaliste.

Pour obtenir des renforts du royaume de Naples, l’amiral Hood y envoie un capitaine de 44 ans, un nommé Horatio Nelson (qui a eu un œil crevé lors de la bataille de Calvi). Nelson fait merveille et ramène un contingent de 4000 hommes. Sir William Hamilton, Ambassadeur d’Angleterre à la Cour de Naples aura cette parole prophétique : « Le capitaine Nelson sera un jour la gloire de l’Angleterre et étonnera le monde. »

Côté français, le plan de Bonaparte est enfin adopté : s’emparer des hauteurs qui dominent la ville et y installer l’artillerie en bonne position. Le 17 octobre 1793, le  capitaine Bonaparte est blessé à la cuisse, mais vainqueur. Le 22 octobre, il est nommé général. Quant à Nelson, il se replie, avec les dix autres commandants, dans le reflux désordonné de l’escadre anglaise.

Mais l’Angleterre reste une menace constante pour la France. Atterrée par l’impuissance d’une flotte naguère si redoutable, la Convention réagit d’une poigne de fer au cours de l’an II (Le calendrier républicain, ou calendrier révolutionnaire français, fut créé pendant la Révolution française, et fut utilisé de 1792 à 1806, ainsi que brièvement durant la Commune de Paris. Il entre en vigueur le 15 vendémiaire an II (6 octobre 1793), mais débute le 1er vendémiaire an I (22 septembre 1792), jour de proclamation de la République, déclaré premier jour de l'« ère des Français »).

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La bataille navale d’Aboukir est beaucoup moins connue que celle de Trafalgar. C’est pourtant la « mère des batailles », celle qui a changé le destin de Napoléon et de la France, voire de l’Europe, du Moyen Orient, en en partie celui de l’Asie. Au point que nos amis anglais n’auraient pas tort de rebaptiser le « Trafalgar square » en « Aboukir square », voire "Nil square" puisque cette bataille y est connue sous le nom de "Bataille du Nil" même si rien ne s'est passé sur le Nil (humour anglais) !

En 1796, William Pitt, le premier ministre anglais, acculé par une grave crise financière, entreprend sans succès de négocier avec la France. À la suite de notre alliance avec la Hollande et l’Espagne, les Anglais redoutent la coalition des trois marines. L’occupation par les Français du port d’Anvers outre la volonté de garder la Sicile sont autant de casus belli pour les Anglais.

L’opinion française est majoritairement anglophobe. En 1797, le débarquement de Hoche en Irlande est un échec. Les Hollandais et les Espagnols sont également mis en échec. Le Directoire en revient au projet d’invasion de l’Angleterre. C’est aussi une bonne manière de se débarrasser de l’encombrant Bonaparte. Tout le monde y trouve son compte :  Bonaparte, le Directoire ainsi que Barras, amant de Joséphine.

Bonaparte part pour Dunkerque faire une évaluation de la situation. Son rapport au Directoire : « Quelques efforts que nous fassions, nous n’acquerrons pas d’ici à plusieurs années la supériorité des mers. Opérer une descente en Angleterre sans être maître de la mer est l’opération la plus hardie et la plus difficile qui ait été faite … ». Mais il ne perd pas le nord : « L’armée d’Angleterre deviendra l’armée d’Orient, et je vais en Egypte. » L’article précédent « Napoléon en Perse » illustre ce rêve oriental de Bonaparte.

Il faut acheminer par la mer 51 000 hommes, 800 chevaux, 100 canons … avec la protection d’une marine de guerre très inférieure à la marine anglaise. Bonaparte n’en a cure : « J’ai passé les Alpes en hiver, je sais comment on rend possible ce qui parait impossible au commun des hommes. » A-t-il fait une erreur en nommant Bruey commandant en chef de l’escadre de la Méditerranée ? Celui-ci a sous ses ordres 50 navires de guerre dont 13 vaisseaux de ligne pour accompagner 280 bâtiments de commerce.

C’est une véritable expédition d’arches de Noé : 476 enfants, 4000 bouteilles de Bourgogne, 300 clandestines, épouses et prostitués, en plus des blanchisseuses, couturières, infirmières, une bibliothèque de 700 volumes, deux imprimeries, un aréopage de 167 savants passionnés par l’antiquité, 64 auteurs et autres dessinateurs … La harangue de Bonaparte galvanise les hommes. « Une immense ville flottait majestueusement sur la mer, tous les corps de musique, sur chaque bâtiment, nous faisaient entendre les airs chéris, si souvent témoins de notre gloire en nous conduisant à la victoire. Chacun était plongé dans une sorte de contemplation et de ravissement. »

Personne ne sait où va tout ça. À commencer par Nelson, qui est chargé d’intercepter et de détruire l’expédition. Celle-ci appareille en grande pompe, pille Malte qui s’était rendue, et fait route lentement vers l’Orient. Puisqu’elle ne passe pas Gibraltar, Nelson pense aussitôt à l’Égypte. Il fonce vers Alexandrie : personne. Il repart à 180 degrés, puis revient sans se douter que les  deux flottent voguent parallèlement ; dans la nuit, elles se sont frôlées sans se voir.

Finalement, le 1 août, la vigie du Zealous signale que la flotte française est embossée dans la baie d’Aboukir en une longue ligne de file parallèle à la plage. L’heure du règlement de compte a sonné.

C’est que la flotte française est arrivée le 1 juillet, par mauvais temps. Bruey est craintif, Bonaparte s’énerve « Amiral, nous n’avons pas de temps à perdre. » En 38 heures, la côte est couverte de caissons, de pièces de canon, de bagages de toutes sortes autour desquels se démènent près d’un millier d’hommes.

Si les convois marchands sont à l’abri du Port-Vieux d’Alexandrie, les navires de guerre ne peuvent y pénétrer du fait de l’étroitesse du chenal  et du manque de profondeur. Bruel demande avec insistance des instructions à Bonaparte qui finit par répondre :  si Alexandrie et Aboukir ne sont pas possible, l’escadre doit aller à Corfou. Convaincu que le stationnement  à Corfou serait un obstacle au soutien à l’armée de terre, Bruey, conscient de la menace qui pèse sur son escadre, appareille le 7 pour Aboukir. Or, dès le 7, les réserves de biscuit et de bois sont en voie d’épuisement. Bruel a la disenterie comme beaucoup de ses marins.

Logiquement, en tant que maître à bord après Dieu, il n’a qu’une chose à faire : préserver l’escadre et partir se ressourcer à Corfou, quitte à revenir attaquer Nelson. C’est ce qu’il ne fait pas, et ce sera sa perte, sans profit pour l’armée de terre. Bonaparte n’aura de cesse que de charger Bruey, sous l’effet de la colère. Villeneuve, qui commandait l’arrière garde soustrait ses navires au massacre sans voler au secours des derniers combattants, parce que cela n’aurait servi à rien. Sa conduite sera saluée par Bonaparte : « Vous avez rendu dans cette circonstance un service essentiel à la République en sauvant une partie de l’escadre. »

À son entrée dans la rade d’Aboukir, Bruey découvre qu’elle est mal protégée des vents dominants du nord ouest et que les fonds, insuffisamment explorés, l’obligent à s’embosser hors de portée de l’artillerie côtière. Son escadre est à la veille de mourir de faim et de soif, et « perd son âme ». Bruey attends des instructions de Bonaparte, qui ne viennent pas.

Poussé par la folie, Bruey dispose ses navire en ligne, sans autre protection qu’un îlot et les brisants censés en défendre l’approche, à une distance extravagante de la plage d’Aboukir. Berthier l’avait pourtant mis en garde à Alexandrie contre un dispositif qui annulait toute possibilité de communication entre la terre et la mer. Mais il s’entête, persuadé que ses vaisseaux n’auront qu’à tirer en direction du large. Durant trois semaines, il attendit écrit Farrère, « l’inévitable catastrophe, comme treize moutons liés attendraient le couteau du boucher. »

Bruey décide de combattre à l’ancre, à cause de la faiblesse de ses équipages. À 14h45 Nelson découvre la longue courbe des vaisseaux français. Au dîner, il se lève de table, salué par des acclamations : « Avant demain, je serai Pair du Royaume ou à l’abbaye de Westminster. » Un combat de nuit, du jamais vu ! Les vents lui sont favorables, les navires français sont contournables et ne sont pas défendables par l’artillerie côtière, et trop éloignés les uns des autres pour se prêter assistance.




À 17h 30, l’escadre anglaise avance en une seule colonne. Pareille à un serpent à deux têtes, la colonne se dédouble et va encercler la ligne française. C’est la tactique napoléonienne appliquée à l’armée navale. À 18h 30, ils sont déjà cinq vaisseaux français en situation désespérée face à huit anglais. Les uns après les autres, les Français encaissent les tirs des Anglais, rivés à leur proie comme une meute qui dépèce une bête épuisée.







Le navire amiral, l’Orion, explose. l’explosion est si forte qu’elle est entendue d’Alexandrie à Rosette. C’est la fin. Neuf vaisseaux capturés, deux incendiés par leur propre équipage, 1500 tués, autant de prisonniers, été 3000 blessés, tel est le bilan. Les honneurs pleuvent de toutes parts sur Nelson.

Alors se poursuit la campagne d’Égypte, au double visage, barbare et civilisatrice.

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On refait le match !

Première hypothèse :
La France recherche la paix avec l’Angleterre : la plus grande puissance terrestre alliée à la plus grande puissance maritime. La France abandonne le contrôle du port d’Anvers, l’Angleterre reconnait la pleine souveraineté française du port de Lorient. Les deux puissances se partagent les comptoirs de l’Inde, garantissent à la Perse ses frontières actuelles et font alliance avec la Turquie contre l’hégémonie russe. Bonaparte devient le premier Président européen élu au suffrage masculin universel. Goethe est son plus fervent supporter. Cela évite les guerres napoléoniennes, permet la construction européenne, les manoeuvres de la Prusse, les deux guerres mondiales et la guerre froide.

Deuxième hypothèse :

La flotte française est vainqueur à Aboutir. Nelson est désavoué. Il n’y aura pas de Trafalgar. Les Anglais négocient une paix difficile. La pierre de Rosette est conservée au Musée du Louvre. Bonaparte s’implante en Égypte, s’allie aux Persans pour conforter les Comptoirs français de l’Inde. Il devient Empereur de Perse ou d’Inde, au choix, et il repousse victorieusement une invasion mongole.



Troisième hypothèse :

Nelson intercepte l'expédition française en mer. Bonaparte est blessé et succombe à ses blessure. Il n'y aura pas d'expédition d'Égypte, pas d'Austerlitz, pas de Waterloo ...