Création le 20 octobre 2014
TINTIN EN TCHÉTCHÉNIE
La première Bande dessinée d'Hergé a été "Tintin chez les Soviets". Le premier reportage d'Anne Nivat s'est déroulé en Tchétchénie, avec autant d'aisance qu'a déployée Tintin, notre sympathique jeune reporter.
Anne Nivat, née le 18 juin 1969, est un grand reporter, reporter de guerre et écrivain français. Elle s'est spécialisée depuis dix ans dans des zones sensibles (Tchétchénie, Irak, Afghanistan…) parfois clandestinement :
http://empirkersco.blogspot.fr/search/label/a%2014%20-%20DIABLE%20FAIRE%20GAL%C3%88RE%201
Elle obtient un doctorat en sciences politiques puis obtient le prix Albert-Londres en 2000 pour son livre Chienne de guerre : une femme reporter en Tchétchénie, écrit après un séjour clandestin en Tchétchénie en 1999 pour rencontrer rebelles, soldats, et civils en se fondant dans la population locale.
En 2004, elle reçoit le prix littéraire de l'armée de terre - Erwan Bergot pour Lendemains de guerre en Afghanistan et en Irak. Dans les dix dernières années, elle a passé son temps à arpenter, en toute indépendance, ces pays en guerre où l'on ne donne pas la parole à la population locale. Ne logeant que chez les habitants, quels qu'ils soient, vêtue comme une femme locale, prenant son temps, Anne Nivat revendique le « droit à la lenteur » et le reportage « à l'ancienne », ne jurant que par l'expérience directe.
Après avoir été correspondante en 1998 à Moscou pour Libération, elle est depuis 2004 envoyée spéciale pour Le Point. Elle collabore à l’International Herald Tribune, au New York Times et au Washington Post3.
En avril 2014, elle rejoint Le Grand Journal de Canal+4
( source Wikipedia)
**********************************************
"Chienne de guerre" D'abord une interrogation sur le titre du livre. Est-ce la guerre qui est une chienne ? On peut aussi penser à ceci :
Durant la Seconde Guerre mondiale, l'Union soviétique entraîna des chiens à détruire des tanks. Ces chiens étaient d'abord entraînés pour trouver de la nourriture sous les tanks. Ils étaient ensuite affamés avant d'être utilisés. Lâchés non loin des tanks ennemis et de poches contenant des explosifs, les chiens se dirigeaient sous les chars croyant y trouver de la nourriture. Les explosifs étaient déclenchés par un dispositif de mise à feu qui s'allumait lorsque le dos du chien se pliait pour passer sous le tank, sacrifiant l'animal.
Il fut rapporté que onze véhicules blindés allemands furent détruits au cours d'une seule bataille. Ils furent considérés comme suffisamment dangereux pour que les Panzergrenadiers allemands se firent ordonner de tuer à vue tout chien.
Cependant, les chiens ne pouvaient distinguer les chars allemands des chars soviétiques et étaient aussi facilement effrayés par les combats et par les chars en déplacement, malgré leur faim. Le projet fut par la suite abandonné par les Soviétiques.
(source Wikipedia)
Le livre commence par un "épilogue en guise d'avant-propos" ! Ambiance :
- Ainsi tu es journaliste ? C'est bien vrai ce mensonge-là ? Qu'est-ce que tu fais là toute seule, hein ? Tu ne serais pas plutôt une espionne ? … Comment t'es-tu déplacée dans cette zone sans attirer l'attention ?
- Demandez plutôt aux militaires en charge des postes de contrôle. Depuis cinq mois que je suis ici, pas une seule fois on a vérifié mes papiers.
Bel embarras des postes de contrôle russes : une journaliste étrangère qui parle russe ! ça n'existe pas.
Anne Nivat'est une porcelaine en tchador dans un magasin d'éléphants ; ça barrit énormément dans les airs et ça pilonne au sol à tout va. Elle est partout, mais on ne la voit nulle part. Dans une voiture, elle est à l'arrière (jamais une femme ne doit être à l'avant), en sandwich entre deux "gardes du corps", et en silence. Dans un entretien avec un notable wahhabite, elle se fait rabrouer, quand elle s'installe trop près dudit, lequel lui montre péremptoirement le fond de la pièce : "les femmes là-bas !".
Elle doit crapahuter la nuit dans les champs, là où les snipers russes tirent à vue, pour rejoindre la route, là où un serpent interminable de voitures attend la réouverture matinale par les Russes. Le moment venu, certaines remontent la file, le bakchich à la main. Quand les poches sont remplies, on referme la route.
La situation est la suivante : une partie de la Tchétchénie est "libérée" par les Fédéraux, l'autre est identifiée comme "terroriste". Dans sa grande bonté, la Russie laisse ouverts des couloirs humanitaires vers l'Ingouchie voisine, histoire de séparer le bien du mal. Le drame est que tout se passait mieux du temps de l'URSS ; suite à l'indépendance des Républiques de la Baltique, les autres peuples de religion majoritaire musulmane ont voulu en faire autant, sans préparation suffisante de leur sociétés civiles : le résultat est paniquant : partout c'est la désolation, maisons éventrées et pillées, familles décimées. Et cela peut continuer ainsi le temps qu'il faut. Et pourtant nombre de Tchétchènes ont servi dans l'armée russe ou ont épousé des Russes. Et tous, hommes et femmes racontent à Anne Nivat leur désarroi : "Depuis la fin de l'Union soviétique et cette histoire d'indépendance, on vivait dans une peur permanente. La peur des Russes et des Wahhabites."
C'est le cas du tankiste russe ivre qui a mitraillé une petite vendeuse de bonbon dans son kiosque au bord de la route. Le Ministre a bien envoyé une lettre de condoléances, la belle jambe ! Et tous ces hôpitaux où on soigne sans médicaments, où on opère sans anesthésie, voire avec une tronçonneuse électrique, quand il y a du courant. Les hôpitaux psychiatriques sont pleins…
Le reportage est rempli de paradoxes :
Un homme des milices recrutées par les Russes :"Tous mes collègues sont saouls du matin au soir … Ce que les Russes montrent à la télé, c'est un mythe … lorsqu'on nous demande d'aller combattre dans la capitale (Grozny), personne n'y va. On a quelquefois tiré de loin en direction de positions des "boïviki" (indépendantistes tchétchènes), mais c'est tout. Pas un d'entre nous n'oserait s'en prendre vraiment à eux, avant tout par peur des représailles. On se connait tous. Du côté russe, personne non plus veut être envoyé dans le cauchemar de la capitale. J'ai même vu un homme des troupes SOBR (troupes d'élite du ministère russe de l'Intérieur) se tirer volontairement une balle dans le pied pour ne pas y aller."
Autre son de cloche humoristique d'un combattant tchétchène :"A Grozny, nos tranchées sont parfois si proches les unes des autres que nous pouvons même nous adresser la parole. En russe, bien sûr ! On les entend rire, boire, regarder la télé bien à l'abri dans leur BTR (véhicule blindé à roues). Parfois même, lorsqu'un de leurs avions nous passe au-dessus de la tête et que nous essayons de le descendre, ils s'excitent et nous dispensent des conseils :"Trente mètres plus à gauche, quinze mètres plus à droite !" Une fois, j'ai même entendu qu'ils se mettaient eux-mêmes à lui tirer dessus, par peur sans doute de recevoir la bombe sur le ciboulot."
Et l'enquête continue. Le Wahhabite : "Être wahhabite, cela signifie respecter la pureté de l'islam tel qu'il était enseigné par les prophètes ; cela s'appelle le fondamentalisme, clame-t-il fièrement. Ce qui n'a pas été souillé au gré de l'évolution de la société et de la modernité." Et Anne de penser "Alors même que j'aurais grande envie de l'interrompre, je suis obligée de l'écouter sans mot dire. Pour faire parler ces jeunes boïviki de mon âge qui tout à la fois se méfient de moi et sont visiblement intéressés par ma présence, j'accepte une attitude on ne peut plus humble, et me borne à miser des questions naïves."
Autre reportage chez Anzor, chef tchétchène : "Avant-hier deux villageois sont venu m'annoncer qu'ils détenaient deux soldats russes en otages et qu'il fallait que je les aide à les vendre !"
Allez ! Une dernière anecdote parmi des dizaines et des dizaines : Les Russes vont venir "nettoyer" le village où Anne Nivat est hébergée. Son hôtesse lui dit "Allonge-toi là, sur le divan, et prends un air malade. Au moins ça t'évitera de parler. Je leur dirai que tu es une cousine de Samachki, venue me rendre visite, et que tu n'as pas pu repartir à cause des événements …" Anne planque alors tout son matériel (appareil photo, carnets de notes, téléphone satellite) sous les jambes grêles de l'aïeule. On attend. Peu à peu un brouhaha se rapproche, des voix se font plus distinctes. Oui, c'est bien en russe qu'on parle … À deux maisons. Puis plus rien !
Nous ne dirons rien du dernier chapitre : il faut le lire avec effarement.
*****************************************
Le mot de la fin ? Ce sera certainement la "baraka" - la bénédiction divine - car revenir en France en bonne santé et indemne de toutes ces aventures, et vivre en famille "normale", n'est pas donné à tout le monde.
www.youtube.com/watch?v=yEFrwIKbKeE