LE VOYAGE DE L'OBÉLISQUE


Création le 24 mars 2014

Oyez, oyez, braves gens, venez admirer ce que le grand Pharaon égyptien Ramses II, il y a plus de trente siècles, a concocté pour vous. C'est jusqu'au 6 juillet 2014, et c'est au Musée de la Marine à Paris.

Il faut dire que Ramsès II n'est que le premier maillon de la chaîne. Il faut y ajouter Napoléon Bonaparte, chef de l'expédition d'Égypte, qui a chassé du pouvoir les Mamelouks, puis Méhémet Ali, vice-roi d'Égypte d'origine albanaise, qui en a remercié la France,  ( "Je n'ai rien fait pour la France que la France n'ait fait pour moi, si je lui donne un débris d'une vieille civilisation c'est en échange des géants de la modernité que la France dissémine en Orient" ) en offrant à Charles X, roi de France, l'un des deux - puis les deux - obélisque d'Alexandrie ( ceux de Thoutmosis III, aujourd'hui à Londres et à New-York ), puis Jean-François Champollion, égyptologue, qui a persuadé Méhémet Ali d'offrir plutôt les obélisques de Louxor, puis Louis-Philippe, roi de France, qui a donné l'instruction au Ministre de la Marine de faire transporter l'obélisque de droite à Paris, puis les ingénieurs et les marins qui ont assuré le transport par mer, et par la Seine, en cinq mois.






Dernier maillon : le Musée de la Marine raconte tout cela dans l'exposition et dans le livret d'accompagnement, dont nous faisons la recension avec son aimable autorisation.

Le Musée national de la Marine est issu d'une collection offerte au roi Louis XV par Henri Louis Duhamel du Monceau. La collection permanente du musée est exposée dans l'aile Passy du Palais de Chaillot à Paris, mais des annexes se trouvent à Brest, Port-Louis, Rochefort et Toulon. Le musée traite aujourd'hui de toutes les marines à travers ses collections et ses expositions temporaires.

Le Musée national de la Marine participe à la stratégie nationale pour la mer et les océans en s'intégrant dans la première priorité de cette stratégie, appelée « investir dans l'avenir » qui suppose d'« éduquer et former aux métiers de la mer » et de « susciter chez les Français la passion de la mer 
». (
Wikipedia )




L'affaire commence en 1829. Le temple de Louxor était dédié au dieu Amon. Un siècle après sa construction, Ramsès II lui adjoint deux obélisques, sur lesquels sont gravés des hommages et des dédicaces aux dieux qu'il vénère, ainsi que les principaux faits de son règne : 22 mètres de haut et 220 tonnes, le tout bien ensablé. 

Un navire de transport, le Luxor, est spécialement construit à Toulon. Il est échoué près du temple le 14 août 1831, et est recouvert de nattes arrosées d'eau pour le protéger du soleil. 




Pendant ce temps, on "démonte" l'obélisque, on le "coffre" et on creuse un chemin de halage du temple jusqu'à la berge. La mauvaise surprise, outre le choléra, est que l'obélisque était fissuré ! L'ingénieur Apolinaire Lebas a du revoir les plans de son système d'abattage. À Noël, l'obélisque est dans le bateau, mais la crue du Nil n'est attendue que pour l'été suivant …

La fine équipe profite de ce temps libre pour pousser jusqu'à Abou Simbel, et même jusqu'à la seconde cataracte en Nubie. À Louxor, archéologie et dysenterie partagent les loisirs des sédentaires. Le 25 août, la crue du Nil libère le Luxor, et c'est la descente vers Alexandrie, pleine de périls. mais les dieux sont finalement favorables et les vents et les courants désensablent le chenal. 


À Alexandrie, le Sphinx, premier navire de guerre à vapeur de la Marine, attendait depuis longtemps pour le remorquage. Mais la saison des tempêtes en Méditerranée fait que l'expédition ne quitte l'Égypte que le 1 er avril 1834.



Après une quarantaine "anti-infectieuse" à Toulon, les navires rallient Cherbourg où les félicite Louis-Philippe. Il faut attendre la crue de la Seine et de multiples avatars ( pendant cinq jours, on a cru le bateau perdu ), et c'est l'arrivée à Paris pour les fêtes de fin d'année.

Il fallait un piédestal pour rehausser la chose. C'est le granit de l'Aber-Ildut qui est choisi ( 5 blocs d'un total de 220 tonnes ). L’Aber-Ildut porte le nom d’un saint gallois, Ildut de Llantwit qui eut de nombreux disciples en Bretagne armoricaine. 


À proximité immédiate de l’Aber-Ildut, de nombreuses carrières de granite (île de Melon, Kléguer) ont été intensivement exploitées jusqu’au XXe siècle. Le granite de l’Aber-Ildut, composé de feldspaths roses, de quartz gris et de mica noir, bénéficiait d’une grande renommée en raison de sa résistance à l’érosion, de ses propriétés à refléter les rayons du soleil, mais également de sa facilité de transport par la voie maritime.


 Durant des millénaires, ce matériau servit à l’édification de multiples constructions humaines, des menhirs et dolmens aux phares. Une ligne imaginaire partant de l'estuaire de l'Aber-Ildut et traversant l'île d'Ouessant en son centre constituerait la limite entre la Manche et l'océan Atlantique.

LE GRAND JOUR



Au matin du 25 octobre1836, l'ingénieur Lebas, qui dirige l'opération avec un porte-voix, se place en dessous afin de ne pas survivre en cas de rupture de l'appareil. Une foule de 200 000 Parisiens envahit la place de la Concorde admirer les 350 artilleurs. Le silence le plus rigoureux a été imposé. Mais la légende dit qu'il manquerait quelques centimètres de longueur de corde pour obtenir la verticalité absolue. Alors une voix s'élève dans la tension générale :"Mouillez les cordes !". Cela a pour effet de rallonger les fibres de chanvre.


À midi, le roi Louis-Philippe, les princes et les personnalités apparaissent au balcon de l'Hôtel de la Marine et donnent le signal des applaudissements. Le drapeau français est hissé et l'obélisque " de la Concorde" est devenu l'Ambassadeur de la civilisation égyptienne. 


L'obélisque lui-même doit attendre 1937 pour être classé Monument historique ; en mai 1998, il est coiffé d'un pyramidon en bronze doré à l'imitation de celui, en électrum, qu'il arborait dans l'antiquité.

Oyez, oyez, braves gens … du haut de cet obélisque, trente siècles vous contemplent !