

Miniature sur bois


Transhumance dans le Fars

Défilé des sociétés de gymnastique (Zough Khaneh) au stade de Téhéran, lors de l'anniversaire du Shah en 1973.
Création le 3 novembre 2011
"Les habitants de Paris sont d'une curiosité qui va jusqu'à l'extravagance … Je demeurais quelquefois une heure dans une compagnie sans qu'on m'eût regardé, et qu'on m'eût mis en occasion d'ouvrir la bouche ; mais, si quelqu'un par hasard apprenait à la compagnie que j'étais Persan, j'entendais aussitôt autour de moi un bourdonnement : " Ah! ah! Monsieur est Persan? C'est une chose bien extraordinaire! Comment peut-on être Persan? "
A Paris, le 6 de la lune de Chalval, 1712
Charles Louis de Secondat, baron de La Brède (alias Montesquieu)
Intégrale des lettres persanes :
http://www.bacdefrancais.net/lpersanes-integrale.html
Mais la Perse, c'est aussi le pays des rois Mages, qui venaient, dit-on, de Yazd, c'est celui d'Avicenne ( http://www.medarus.org/Medecins/MedecinsTextes/avicenne.html ), un grand savant de Boukhara qui disait, entre autres, que pour rester en bonne santé, il faut pratiquer les relations humaines.
C'est encore le temple des 40 colonnes à Esphahan, - tchehel sotoun - où ses 20 colonnes, se reflétant dans le bassin attenant en faisaient 40. Le pays d'Ali Baba, et de ses 40 voleurs. Le nombre fétiche 40 s'est transformé pour nous en "quarantaine", autrement dit la "quantité suffisante pour".
- Allé shoma roubé ?
- Balé !
- Kheili roub.
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Voici donc le texte de la conférence de Bernard Dorin, Ambassadeur de France et Conseiller d'État honoraire, faite le 11 janvier 2011, à la Maison de l'Europe, à Paris.
Bernard Dorin est également membre de l'Académie des Sciences d'Outre-mer.
Depuis Montesquieu, au début du XVIIIème siècle, comment peut-on être Persan ? C'est qu'il faut comprendre un pays très complexe pour différentes raisons.
Je vais tout de suite vous donner la réponse, le reste de ma conférence n'en étant que l'illustration.
L'Iranien d'aujourd'hui est un mélange de deux composantes qui s'opposent :
- un immense orgueil ;
- le désespoir d'avoir été vaincu en tant que chiite à la bataille de Kerbala en 680 de notre ère.
Un exemple d'orgueil : la Shabanou a dit devant moi : "Nous avions derrière nous des millénaires de dynasties prestigieuses, alors que les Arabes poussaient leurs chèvres."
Autre exemple ; il y a à Esphahan la "place de la moitié du monde", rien que cela ! Le Shah se faisait appeler "Shah in Shah" le roi des rois !
Pourquoi l'Islam des Iranien est différent de celui des sunnites ? Il faut d'abord parcourir une histoire prodigieuse. En 2000 avant Jésus Christ, les Ariens, venant de l'Indus, occupent la Perse. En 600 ans avant J.C., Cyrus le Grand fonde la dynastie des Achéménides. Cent ans plus tard, ce sont les guerres médiques, avec les batailles de Marathon et de Salamine. Au 4ème siècle, Alexandre le Grand venant de Macédoine, conquiert l'Anatolie, se fait couronner en Egypte, détruit l'empire perse et ira jusqu'à l'Indus, avant de se replier avec une armée prise de vertige, et mourir sur le chemin du retour..
Un de ses généraux macédoniens fonde l'empire Séleucide. Puis vient l'empire des Arsanides, de -300 à + 300 qui est remplacé par le prestigieux empire Senanide qui s'étend de l'Indus à l'Arabie du 3ème au 7ème siècle.
L'invasion des cavaliers arabes en 642 scelle le destin de la Perse, dans la "bataille du Destin". Les envahisseurs vont encore jusqu'à l'Indus. En matière religieuse, le zoroastrisme (ou mazdéisme) fait place à l'Islam.
Au XIème siècle, c'est l'invasion des Turcs. Au XIIIème, un empereur Mongol régne sur un immense territoire des steppes qui ira jusqu'en Irak. Au XIVème siècle, Tamerlan dévaste la Perse.
Après ces siècles d'horreur, les Perses se redressent et fondent au XVIème siècle la dynastie sassanide à Esphahan. Au XVIIème, c'est la dynastie kader, jusqu'au moment où, en 1925, un colonel de la garde cosaque, Pahlavi, fonde la dynastie pahlavie.
En 1941, les Soviétiques et les Britanniques se partagent les zones d'influence. Les Soviétiques fondent deux républiques : la Kurde et l'Azerie, qui seront supprimées par le Shah en 1945.
En 1951, Mossadegh prend le pouvoir. Reza fuit à Rome, c'est la nationalisation du pétrole. Pas pour longtemps : les compagnies pétrolières demandent aux Etats Unis d'intervenir. Mossadegh est chassé du pouvoir.
En 1963, le Shah fait la "révolution blanche" en faisant le partage des terres au profit des paysans, mais s'attire la haine du clergé chiite. En 1979, une insurrection oblige le Shah à fuir pour la deuxième et dernière fois. Khomeini, qui s'était réfugié à Nauphle le Château revient triomphalement en Iran.
En 1980, Saddam Hussein attaque l'Iran. Dans cette guerre, la France a été la cobelligérante de l'Irak, en lui fournissant des armes. Il y a un million de morts de chaque côté, sans résultat aucun dans cette guerre inutile.
En 1989, Khomeini meurt et est remplacé par Khameini, plus libéral, lui-même remplacé par Rasfandjani et enfin par Khatami en 1987. Les élections de 2000 donnent la majorité aux libéraux. Mais en 2002, Mahmoud Ahmadinedjad est élu maire de Tehéran, puis devient président de la République, après des élections très controversées en 2009.
Géographiquement, l'Iran est situé entre deux mers : la Caspienne et le golfe persique (arabique, ou tout simplement "le Golfe") et est dont le corridor des invasions venues de l'est ou de l'ouest. Deux chaines de montagnes : l'Elbourz et les monts Zagros qui se prolongent en Irak. Le reste du pays est un plateau, comportant deux déserts.
Au plan de la population, sur les 70 millions d'habitants, il n'y a que 35 millions de Perses, les autres étant des Azeris, des Kurdes, des Bakthiars, des Arabes et des Baloutches.
La civilisation perse est extraordinaire
Témoins, ces bronzes du Louristan, plus de 1000 avant J.CL. puis une grande ville : Persépolis.
Mais c'est à partir du XVIème siècle que se développe à Esphahan, Samarkand, Boukhara, Machad une architecture religieuse de toute beauté, avec ses mosquées ornées de mosaïques (les kachikari)
Une importante civilisation littéraire, basée sur un alphabet arabe amélioré de 4 caractères : p, che, ze, que. La langue persane est parlée d'Istamboul à Delhi. la peinture spécialisée des miniatures y fleurit, montrant le plus souvent des scènes de chasse., avec des figures humaines, sauf celle de Mahomet, la musique, la poésie, (et l'amour du bon vin que l'on boit dans des "tasses") ...
La source des désolations, c'est l'Islam chiite. Sur le milliard deux cents millions de musulmans, il y a 80% de sunnites qui ont la sunna pour religion. Les chiites ,de chia, la "fracture", sont les partisans d'Ali. Ali était le quatrième Khalife, il a été assassiné en 661. Pour la succession d'Ali, certains musulmans exigent que le nouveau Khalife soit du sang du Prophète, donc issu de Fatima, sa fille et d'Ali. Contrairement aux divisions du christianisme sur la nature du Christ, il s'agit ici d'un problème de succession, d'autant plus inactuel que le Khalifat a été aboli en 1923 par Kemal Ataturk.
Pis : l'imam Hussein, fils d'Ali, a été écrasé et tué à la bataille de Kerbala. Curieuse similitude avec les Serbes qui célèbrent aussi une défaite, celle de la bataille du "Champ des Merles".
Chaque année lunaire, les chiites célèbrent ce culte du martyr par des manifestations effrayantes, lors de l'Achoura, en s'infligeant des coups de couteau, des flagellations, 1530 ans après l'événement. Ce désir de revanche peut s'exprimer par la phrase "Nous étions les seuls justes ... et nous avons été persécutés !"
Venons-en à la crise : l'Iran est un pays en crise.
Crise politique : En 2009, après les élections à la Présidence de la République (islamique) les libéraux ont crié à la tricherie et ont fait des manifestations suivies d'une forte répression. Le grand Ayatollah Khameini a pris fait et cause pour Ahmadinedjad qui s'appuie sur les milices bassidji (ou pasdaran), au prix d'une victoire fragile obtenue par une diarchie. Si ces deux-là se brouillent, c'est la fin.
Crise économique : Elle est incompréhensible au premier abord. L'Iran possède la quatrième réserve mondiale d'hydrocarbure, après l'Arabie Séoudite, le Koweit et l'Irak. Mais l'Iran
- ne l'exploite pas correctement ;
- ne la raffine pas en quantité suffisante.
alors que ses exportations dépendent à 75% des hydrocarbures.
Pour faire face à cette crise, l'Iran a une société civile fragmentée, même si les femmes sont plus libres que dans les pays du Golfe.
Crise internationale : L'Iran déploie beaucoup d'activités à ses frontières. Il s'intéresse à l'Afghanistan et à une partie de sa population au centre, à l'Azerbaidjan, l'autre moitié de son Azerbaidjan à lui, à l'Irak (60% des Irakiens sont chiites, Kerbala est en Irak), au Liban où l'Iran appuie le Hezbollah.
Mieux encore, Ahmadinedjad a déclaré "Il est nécessaire d'effacer Israel de la carte du monde". Même si cette déclaration est purement politicienne et n'engage que ceux qui la recoivent, elle est aggravée par le fait qu'elle s'appuie sur des essais de construction d'une force nucléaire. Il y a deux grands sites d'enrichissement de l'uranium nécessaire près de Khom, et un autre de fabrication d'eau lourde, plus quelques autres sites secondaires. Ils sont enterrés suffisamment profondément pour que leur destruction nécessite une frappe puissante, voire nucléaire.
À ces menaces, Israël se doit de préparer une riposte.
- L'option de bombardement. Au moins deux fois, en Irak et en Syrie, cette option a été pratiquée. Mais pour ce faire, Les avions israëliens devraient traverser la Turquie, ou la Syrie, potentiellement hostile, ou alors contourner par le golfe persique, ce qui pose de vrais problèmes d'alimentation en carburant. En plus, une telle action provoquerait une émotion internationale ; Israël se verrait opposé aux vetos de la Russie et de la Chine, membres permanents du Conseil de Sécurité, et de la Turquie et du Brésil, également membres. Cette option est donc raisonnablement impraticable.
Alors, que faire ?
Il y a deux possibilités:
- Je suis formel : l'Iran va construire "sa" bombe. La construction peut être ralentie par des sabotages. Dans cette optique, un ancien chef du Mossad (service secret israëlien) prévoit au mieux la mise en service en 2015. Avec en prime une conflagration possible. L'Iran se dote donc d'une frappe de représailles, avec des missiles portant à 1500 km et bientôt à 4000 km, par exemple jusqu'à Paris. En face, la flotte américaine est porteuse de missiles antimissiles en Méditerranée et en mer Noire.
- L'autre possibilité est certaine : la dissémination nucléaire - D'autres États, comme la Turquie, l'Arabie Séoudite, l'Égypte se préoccuperont de posséder l'arme atomique, comme l'ont fait, face à face, le Pakistan et l'Inde.
Mais il faut rester optimiste. En effet, il faut parier sur le fait que la bombe iranienne sera une bombe politique, avec pour objectif de redonner aux dirigeants iraniens le prestige qu'ils prétendent avoir perdu. Ils ne sont pas assez fous pour déclencher une guerre, dont l'Iran sortirait pulvérisé.
L'Agence Internationale de l'Énergie Atomique continuera donc à faire ses inspections, tantôt acceptées, tantôt refusée, l'Iran continuera donc à faire sa bombe, avec plus ou moins de retard. Ce sera comme le jeu du chat et de la souris, mais où la souris se joue du chat !
(Recension de la conférence avec l'aimable autorisation de Bernard Dorin)




