Création : 16 avril 2009
Modification 1 : 22 février 2013
Modification 2 : 10 février 2016
Qui connaît l'iman Chamyl, le "lion du Daghestan", le troisième imam ?
Les Tsars rêvaient du Caucase, ces montagnes fabuleuses qui avaient résisté à toutes les conquêtes. Mais lorsque au XIXème siècle les troupes cosaques (200 000 hommes ! ) repartirent à l'assaut de la Tchétchénie et du Daghestan, ce fut pour se briser sur la résistance furieuse des montagnards musulmans. Cette lutte allait durer 30 ans, plus qu'une guerre religieuse, une lutte pour la liberté contre les prétentions coloniales du Tsar.
Un livre extraordinaire pour découvrir un Caucase lointain : "Les Sabres du Paradis" de Lesley Blanch - aux éditions Denoël - qui en fait le récit historique et poétique. Ci-dessous un extrait montrant le génie magnétique de manipulation de Chamyl :
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Chamyl vers 1850 |
... Pour donner un exemple de l'exaltation dramatique de Chamyl, il faut avancer dans l'année 1743, où les tribus tchétchènes, cernées sans espoir par les Russes furent obligées de leur offrir leur soumission. Mais ils craignaient également la fureur de Chamyl. Ils décidèrent de lui envoyer une députation pour lui demander la permission de déposer les armes.
Ils pensèrent avoir l'appui de la mère de Chamyl qui avait l'audience de son fils. Ils approchèrent d'abord un ami de celle-ci, en lui promettant une récompense. Ils donnèrent enfin un cadeau à la mère de Chamyl.
Celle-ci accepta d'intervenir en leur faveur Le soir même, elle demanda audience à Chamyl. Ils restèrent ensemble jusqu'à minuit. Chamyl, le visage impénétrable, se retira dans la mosquée, y passant seul le reste de la nuit. Puis il fit dire à toute la population de Dargo de se rassembler devant la mosquée pour entendre la parole divine.
Enfin, Chamyl apparut, d'une pâleur livide. Les prières et les lamentations cessèrent, et, dans un silence absolu, le peuple attendit ses ordres.
- Habitants de Dargo, je vous apporte de sombres nouvelles. Vos frères les Tchétchènes ont parlé honteusement de se soumettre ; ils n'ont pas osé m'affronter directement et ils se sont servis de ma mère, de sa faiblesse de femme. Pendant trois jours et trois nuits, j'ai imploré le jugement du Prophète. Et aujourd'hui enfin, il a daigné répondre à mes prières. C'est la volonté d'Allah que la première personne qui m'a parlé de soumission soit punie de cent coups de fouets. Et cette personne est ma mère !
L'effet de ce discours fut dramatique à l'extrême. Du peuple, d'abord atterré, s'éleva un gémissement qui retentit jusque dans la montagne. Les murides (combattants) les plus hardis se prosternèrent devant Chamyl dans une supplication silencieuse. Mais il resta implacable. Sa mère fut attachée et Chamyl lui-même, arrachant le fouet au bourreau, commença à frapper la femme qui hurlait. Au cinquième coup, elle perdit connaissance. Alors il se jeta sur son corps, incapable de contenir ses sanglots. Mais soudain, avec cette force et cette grâce si souvent notées dans ses mouvements, il bondit sur ses pieds, le visage illuminé, les yeux "lançant des flammes".
- Allah est grand ! Ma prière a été écoutée. Il me permet de recevoir le reste du châtiment auquel ma pauvre mère a été condamnée. J'accepte avec joie."
Il ordonna à ses naïbs (lieutenants) de continuer le reste des quatre vingt quinze coups sur son propre dos, en les menaçant de mort s'ils ne frappaient pas assez fort. Au quatre vingt quinzième coup, il se releva, remit sa chemise et s'avança parmi la foule qui restait agenouillée, figée par la terreur.
- Où sont les traîtres tchéchènes ? Où est la députation qui a attiré ce châtiment sur ma mère ? "
demanda-t-il de ce ton calme et mesuré qui lui était habituel. Les Tchétchènes gisaient, le visage dans la poussière, murmurant leurs ultimes prières. Ils ne demandaient même pas grâce.
Mais le drame n'était pas terminé. Le coup de théâtre devait encore se produire. Avançant de quelques pas, Chamyl releva les Tchétchènes écrasés contre le sol, et en leur disant de reprendre courage et confiance, il ajouta :
- Retournez dans vos foyers. Dites à votre peuple ce que vous avez vu et entendu ici. Partez en paix. Tenez ferme la corde de Dieu. Adieu.
Bien entendu, un pareil drame fut raconté dans tout le Caucase, et eut un effet des plus salutaires ...
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Reddition de Chamyl |
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Chamyl prisonnier |