ARMÉNIE, L'ÂME D'UN PEUPLE



 Création le 11 août 2019

Ambassadeur de France en Arménie de 2002 à 2006, Henry Cuny a encadré la préparation de l'année de l'Arménie en France. Il a consacré une part importante de son activité à l'avenir des jeunes Arméniens qu'il accompagnait sur les hauts plateaux escarpés du pays comme sur les plateaux télévisés. Il est le cofondateur pour la partie française de l'UFAR, l'Université française en Arménie, la plus grande université française à l'étranger.

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 "Cet essai est en sept regards qui sont le fruit d'observations et de réflexions sur l'Arménie : l'influence opposée de l'altitude et de la latitude y a forgé une race d'hommes aux vertus rares et contradictoires, durs à la tâche et à la guerre, mais pourtant infiniment sociable, portés aux formes les plus sublimes de l'art envisagé, sous toutes ses disciplines, comme une conquête intérieure. Exigeants et secrets. Secrets parce que exigeants envers eux-mêmes."

En préface, le Ministre de la Culture de la République d'Arménie y voit le regard d'un chaleureux ami.

La Présidente de l'Association Arménie-France réplique : "Des amis de cette qualité sont indispensables pour nous et notre Arménie. Espérons que nous n'en manquerons pas."

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 PREMIER REGARD : MÉMOIRE ET LÉGENDE

L'Arménie d'aujourd'hui n'a pas quinze ans d'existence. Pourtant, en tant que nation, ses origines sont antérieures de trente ans à la fondation de Rome. Et la mémoire arménienne remonte à la nuit des temps ; les Arméniens ne sont-ils pas les descendants de Noé ? Le héros Haïk, fondateur de la nation, était descendant de Japhet, l'un des trois fils de Noé. En arménien,  Arménie se dit Haïasdan, le pays de Haïk.

Sémiramis
 Sémiramis, reine d'Assyrie, est éperdument amoureuse de l'Arménien Ara, qui est déjà marié ! Puisqu'elle ne peut pas l'avoir de gré, elle l'aura de force. Ainsi naissent les grande guerres de l'histoire ancienne. Ara est tué, elle l'aime d'autant plus ... Elle vient finalement s'installer près du mont Ararat.


DEUXIÈME REGARD : UNE HISTOIRE NÉE DE PÈRE INCONNU, MOÏSE DE KHORÈNE

L'histoire de l'Arménie est née de père inconnu. On ignore qui il était vraiment. Lui-même prétend que c'est au Vème siècle qu'il a entrepris cette histoire qui commence à la Tour de Babel.

Moïse de Khorène
 Son œuvre principale, une Histoire de l'Arménie, se distingue des écrits des autres historiens arméniens contemporains ou antérieurs en ce qu'elle intègre les traditions orales de l'Arménie païenne et retrace l'histoire arménienne des origines jusqu'au Ve siècle. Elle a valu à Moïse le titre de « père de l'histoire arménienne ».

Cela ne préfigure-t-il pas ce qu'est encore aujourd'hui l'arménité ? L'arménité paraît être à l'auteur une démarche millénaire de l'intelligence. 

TROISIÈME REGARD, LA MÉMOIRE ET LA LANGUE

Il y a chez les Arméniens une obsession de la pureté de la langue. Dieu parlait-il arménien à l'origine ? L'Arménie devient en 301 la première nation chrétienne.

En arménien, on est parce que on fait. Littéralement, je ne lis pas, je ne chante pas, je suis lisant, je suis chantant.

Un autre trait de la langue arménienne est la place qu'elle accorde à la famille : chaque lien de parenté a sa dénomination particulière ; la tante est "la sœur du père" ou "la sœur de la mère, ou "la femme du frère de la mère".

Si la littérature est le miroir de l'âme des peuples, l'Arménie a été le miroir de la rencontre entre l'Orient et l'Occident.

QUATRIÈME REGARD, RECHERCHE D'ORIGINE ET DÉRANGEANT OURARTOU

L'emblème de l'Ararat n'est pas une revendication territoriale, mais l'invocation d'une protection millénaire contre tous les déluges.
 
Assurnabirpal
C'est dans une inscription du roi assyrien Assurnabirpal, qui a régné de 885 à 860 avant J.-C., que l'on trouve la première mention de ce royaume d'Ourartou, désignant le pays s'étendant autour du lac de Van.

C'était non seulement un État, mais une civilisation versée dans l'art de l'architecture, le travail des métaux ainsi que de la céramique, et qui a construit un prodigieux réseau de canaux pour développer la superficie des terres arables. Sa capitale, Erebouni, est devenue Yérévan, capitale de l'Arménie.


CINQUIÈME REGARD,  UN PÈRE SPIRITUEL SAINT ET HÉRÉTIQUE

Toute civilisation est fragile, elle appartient moins à la permanence de la géographie qu'à l'âme vulnérable des peuples. Si l'Arménie s'identifiait à un livre, ce serait celui des "Lamentations" de Saint Grégoire de Narek.

Saint Grégoire de Narek
 Saint Grégoire de Narek est devenu le Saint de l'Église apostolique arménienne et de l'Église catholique, sa proclamation comme docteur de l'Église est annoncée le par le pape François. Le 12 avril suivant, soit douze jours avant le centième anniversaire du génocide arménien, il devient ainsi le 36e docteur de l'Église.

"Un jour, pour le confondre, ainsi que faisaient les Pharisiens avec Jésus, les autorités princières et épiscopales lui envoient une délégation pour l'interroger. La légende veut qu'il invite cette délégation à déjeuner. On amène sur la table deux pigeons rôtis, au grand scandale de ses hôtes, car c'est un vendredi. Grégoire feint de l'avoir oublié, s'en excuse auprès des envoyés ainsi que  auprès des pigeons auxquels il enjoint de regagner aussitôt leur volière, puisque c'est jour d'abstinence. Ceux-ci s'exécutent, sous le regard décontenancé des envoyés qui, à la vue de ce miracle, tombent aux genoux du Saint."

Salle du Concervatoire Tchaïkosvki à Moscou
Et Henry Cuny de donner quelques extraits des prières extraites de ce livre, et de citer sa rencontre avec le compositeur Alfred Schnittke : il était invité à un festival de musique soviétique à la salle du Conservatoire Tchaïkovski, presque vide. Puis survient une affluence soudaine pour la première du concert pour chœur d'Alfred Schnittke. Le texte qui l'a inspiré a été tiré du Livre des Prières de Grégoire de Narek. A suivi une extraordinaire ovation de dix minutes ...

Alfred Schnittke

Avec cette œuvre, le dernier chapitre de l'histoire de l'Union Soviétique venait de s'ouvrir.


SIXIÈME REGARD, SARIAN OU LES COULEURS DE L'ÂME ARMÉNIENNE
 
Femme par Sarian

 S'il est un artiste que l'on peut identifier à l'Arménie, c'est bien Martyros Sarian, auteur de cette profession de foi :

"Je me représente chaque peuple comme un arbre puissant. Ses racines plongent dans le sol natal, mais sa floraison et ses branches chargées de fruits appartiennent au monde entier. L'art est ainsi : authentique et national, il porte en lui quelque chose d'universel."
 
Masques égyptiens - 1911

L'idée d'éternité nimbe les "masques égyptiens", redondant dans son œuvre, qui ne sont plus des masques de mort, qui n'appartiennent plus à un être momifié, mais dont chacun est un regard posé sur nous depuis la profondeur des millénaires.

L'humain chez Sarian commence où le regard se pose. C'est pour cela qu'il est éternel.

SEPTIÈME REGARD, À LA RENCONTRE DE LA JEUNESSE ARMÉNIENNE

En voyant passer Henry Cuny, une marchande dit à sa voisine : 
- C'est l'ambassadeur des jeunes !

On ne peut pas lui faire de plus beau compliment. Les jeunes Arméniens ont une ardeur à construire et à faire sans pareilles.

Quelques échantillons de joie partagée :
- Créativité de l'atelier de couture du lycée professionnel franco-arménien ;
- Talent des jeunes musiciens et musiciennes venant souvent faire des concerts à la salle de réception de l'Ambassade française ;
- Éducation dans le respect dû au professeur, qui veut qu'on se lève quand il rentre en classe, et en retour dévotion du professeur à l'égard de ses élèves ;
- Engagement pour la participation des jeunes francophones au programme d'élections municipales ;
- Perfectionnisme inspiré pour l'utilisation d'un français sans fautes. Les petits Arméniens de treize ans le maîtrisent avec talent.


CONCLUSION : L'ESPRIT DE L'UFAR

L'Université française en Arménie (UFAR), de création récente : 2003 est plutôt une "business school". Elle a de nombreuses qualités.


- Une école de la responsabilité. Dès le départ, elle a pensé arménien, et a inventé un cartésianisme arménien ;
- Une éthique : la francophonie est d'abord un état d'esprit : penser à la française pour penser arménien ;
- La transparence : tout se joue au mérite et au travail individuel ;
- La démocratie : c'est bien des étudiants que dépendront les solutions de demain ;
- Une pépinière de hauts fonctionnaires quadrilingues.

Cette Université constitue un laboratoire d'idées, avec une appréhension "à la française" et des résultats probants.

L'UFAR a réalisé le rêve de Charles Aznavour qui a déclaré en 2003 : "J'ai toujours rêvé d'une Arménie où l'on parlait français, parce que l'Arménie a toujours été plus proche de la France. Cette Université française, c'est comme un rêve qui se réalise enfin. Je ne l'imaginais pas si grande. Ses étudiants sont merveilleux".