CANAL INATTENDU


EL KANTARA - Lithographie de Edouard Riou

Création le 2 novembre 2015
Modification 1 le 13 novembre 2015

Avertissement : D’ici 650 000 ans, selon la tectonique des plaques, la plaque africaine se sera déplacée vers le nord-est, à une vitesse de 2,15 cm par an ; elle bouchera le détroit de Gibraltar, et la mer Méditerranée se segmentera en de nombreux bassins qui s’assècheront et laisseront place à une chaîne de montagnes. Par conséquent, le canal de Suez ne servira plus à rien !

Oui mais, la plaque arabique voyageant plus vite vers l'est que la plaque africaine, on peut penser qu’il y a eu un moment  où se sont  produites deux déchirures isolant le Sinaï et créant :
- d’un côté la mer Rouge, les deux lacs Amer, le lac Timsad et les zones basses au sud de Port Saïd, une déchirure plus ou moins bouchée par des apports ultérieurs ;
- et de l’autre côté le golfe d’Aqaba, ainsi que la mer Morte, qui n’a pas pu se remplir d’alluvions, et dont le niveau est à 400 mètres au-dessous de celui de la Méditerranée.

En attendant ce temps-là, voici donc une histoire du Canal à bâtons rompus.



1 - L’ÉGYPTE DES PHARAONS

Les Égyptiens aimaient bien circuler sur des voies d’eau, et ont toujours voulu faciliter les communications vers la vallée du Nil et les territoires plus à l’Est et au Sud, comme le Sinaï et ses mines ou le fameux pays de Pount d’où provenaient l'or, l'encens et la myrrhe ... (que se sont procuré les Rois Mages)




Du contrôle de la crue du Nil dépendaient les richesses agricoles du pays, et les Pharaons n’hésitaient pas à faire creuser … C’est Sésotris III (vers 2000 avant J.C.) qui fait creuser un canal pour contourner la première cataracte d’Assouan et permettre à la flotte égyptienne de pénétrer en Nubie. Coup double avec le percement jusqu’à la mer Rouge d’une nouvelle voie d’eau (la mer Rouge remontant plus au nord qu’actuellement). Mais les témoignages archéologiques restent rares.


 En revanche, au début du premier millénaire avant J.-C., les Grecs s’intéressent commercialement à la vallée  du Nil, et le Pharaon Nekao II veut hisser la marine égyptienne au niveau de celle des autres puissances méditerranéennes ; après plusieurs campagnes guerrières contre les Babyloniens, il fait commencer la construction d'un canal pour relier le bras oriental du Nil (Nord de Bubastis) à la mer Rouge. Environ 12 000 ouvriers creusent dans le ouâdi Toumilat (ou wadi Tumilat)... Selon Hérodote, il envoie par ailleurs une expédition phénicienne explorer et accomplir la première circumnavigation du continent africain.



Construction interrompue après qu’un oracle ait prédit que Pharaon travaillait alors pour les Barbares. Mais un de ses successeurs, Darius Ier, fait terminer l’ouvrage, car l’Égypte est devenue la plus riche province perse. D’après une série de stèles en hiéroglyphes  et en cunéiforme : « J’ai donné l’ordre de creuser un fleuve, depuis le fleuve qui est en Égypte jusqu’au fleuve Amer qui sort de Perse. Ce fleuve fut creusé comme je l’avais ordonné … »



Ptolémée II fait ensuite installer une écluse pour empêcher l’eau salée de remonter vers le nord. Plus tard, sous les Antonins, les Romains appelleront ce canal le « fleuve de Trajan ».


2 - PASSAGE DES HÉBREUX (Exode 14.1-31)

21 Moïse étendit sa main sur la mer. Et l’Éternel refoula la mer par un vent d’orient, qui souffla avec impétuosité toute la nuit ; il mit la mer à sec, et les eaux se fendirent. 
22 Les enfants d’Israël entrèrent au milieu de la mer à sec, et les eaux formaient comme une muraille à leur droite et à leur gauche. 
23 Les Égyptiens les poursuivirent ; et tous les chevaux de Pharaon, ses chars et ses cavaliers, entrèrent après eux au milieu de la mer.


Les auteurs de cette illustration semblent avoir trouvé l'énigme. Pourtant l'Éternel avait dit : 2 "Parle aux enfants d’Israël ; qu’ils se détournent, et qu’ils campent devant Pi-Hahiroth, entre Migdol et la mer, vis-à-vis de Baal-Tsephon ; c’est en face de ce lieu que vous camperez, près de la mer". Mais s'agit-il  de la mer Rouge ou de la mer Méditerranée ? Et on n'a pas trouvé trace à notre connaissance de ces trois patelins ...

L'Ange du Seigneur apparaît en songe à Joseph et lui dit :
"Lève-toi, prends avec toi l’enfant et sa mère, fuis en Egypte et restes-y jusqu’à ce que je t’avertisse, parce que Hérode est en train de chercher l’enfant pour le tuer."
Il se leva, prit avec lui l'enfant et sa mère, de nuit, et se retira en Egypte.
(Mt 2, 13-14)
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En ce qui concerne la fuite en Égypte de Joseph, Marie et Jésus (Youssef, Myriam et Aïssa),
L'Ange du Seigneur apparaît en songe à Joseph et lui dit :
"Lève-toi, prends avec toi l’enfant et sa mère, fuis en Égypte et restes-y jusqu’à ce que je t’avertisse, parce que Hérode est en train de chercher l’enfant pour le tuer."
Il se leva, prit avec lui l'enfant et sa mère, de nuit, et se retira en Égypte, où il resta jusqu'à la mort d'Hérode.

(Matthieu 2, 13-14)


"Il y avait a cette époque trois routes pour se rendre de Palestine en Égypte.

La Sainte Famille, en allant de Palestine en Égypte n'a suivi aucun de ces chemins connus, mais a emprunté une route spéciale, car il est évident que pour échapper à la menace du roi Hérode, il lui fallait prendre une autre route, inconnue celle-là ; cette route est celle mentionnée par le synaxaire copte d'après la vision du pape Théophile, qu'il a rapportée dans son livre de mémoires.

La Sainte Famille marche de Bethléem à Gaza jusqu'à la réserve d'El Zaraniq (El Feloussiat), à 37 km à l'Ouest d'El Ariche, et entre en Égypte par le désert au Nord du Sinaï, du côté de Farma (Pelusium) entre El Ariche et Port Saïd."


 La tradition affirme que la Sainte Famille, après une halte à Gaza est restée 7 ans à Héliopolis (Le Caire).


 Autrement dit, on peut supposer que la Sainte Famille aurait fait le même trajet que les Hébreux, mais en sens inverse, en franchissant le futur tracé du canal de Suez ...

L'Ange du Seigneur apparaît en songe à Joseph et lui dit :
"Lève-toi, prends avec toi l’enfant et sa mère, fuis en Egypte et restes-y jusqu’à ce que je t’avertisse, parce que Hérode est en train de chercher l’enfant pour le tuer."
Il se leva, prit avec lui l'enfant et sa mère, de nuit, et se retira en Egypte.
(Mt 2, 13-14)
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L'Ange du Seigneur apparaît en songe à Joseph et lui dit :
"Lève-toi, prends avec toi l’enfant et sa mère, fuis en Egypte et restes-y jusqu’à ce que je t’avertisse, parce que Hérode est en train de chercher l’enfant pour le tuer."
Il se leva, prit avec lui l'enfant et sa mère, de nuit, et se retira en Egypte.
(Mt 2, 13-14)
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3 - L’ÉGYPTE SOUS LA DOMINATION ARABE

Mais la décadence de l’Empire romain entraîne celle du commerce vers l’Asie, et le canal s’ensable. En 643, Alexandrie, évacuée par les Grecs, est livrée par le patriarche Cyrus aux troupes arabes du Calife ‘Amr ibn al-As qui prend la Cyrénaïque et fonde le camp de Fostat (qui deviendra Le Caire), au nord de Babylone d’Égypte. Le calife 'Amr libère l'Égypte du joug colonial romain ainsi que les chrétiens qui étaient emprisonnés. Il fait restaurer les voies d’eau pour faciliter les pèlerinages vers les villes saintes arabes, avant qu’à la suite d’une révolte à Médine en 730, on ne comble le canal pour empêcher le ravitaillement de la ville. Et on s’abstient de le recreuser pendant des siècles …

4 - DES CONSÉQUENCES DE L’EXPÉDITION D’ÉGYPTE

 
Méhémet Ali
 Méhémet Ali, d’origine albanaise, s’élève au rang de second commandant sous les ordres de son cousin Sarachesme Halil Agha dans le contingent des volontaires de Kavala qui sont envoyés afin de réoccuper l'Égypte après le départ du général Bonaparte. Le retrait français avait laissé la province ottomane sans dirigeant. Le pouvoir des Mamelouks, bien qu'affaibli, n'avait pas été anéanti, et les forces ottomanes étaient en conflit avec eux dans la course au pouvoir. Au cours de cette période d'anarchie, Méhémet-Ali utilise ses troupes albanaises sur deux fronts, le premier afin de conquérir le pouvoir et le second pour son prestige personnel.

Le vice-roi introduit de vastes réformes en Égypte : il met sur pied une armée de conscription à base de paysans égyptiens, qu'il utilisera ensuite pour repousser les frontières de l'Égypte. Il engage d'importants travaux d'infrastructure, tels que des routes et des canaux en mobilisant plus de 300 000 cultivateurs, hommes, femmes, enfants, arrachés de leurs foyers et au prix de nombreuses vies volées par les maladies, les privations et les mauvais traitements. Il envisage également la construction d'une voie ferrée du Caire à Suez ainsi que le creusement d'un canal reliant la mer Méditerranée à la mer Rouge, deux projets qu'il n'aura pas le temps de réaliser, mais qui seront menés à bien par ses successeurs. Il fait du pays l'un des principaux producteurs mondiaux de coton. Il se signale aussi par des réformes sociales, et la création d'écoles modernes.

L’ouverture à la technique et à la science française a été un modèle pour les dirigeants égyptiens, et la civilisation antique de l’Égypte a été un engouement pour la société française, allant jusqu’à l’égyptomania. Tout ceci a créé les conditions favorables pour rêver à nouveau au fameux Canal.





5 - ABOUTISSEMENT DU PROJET

Le canal maritime de Suez, qui fait partie du patrimoine de l’humanité, a été le résultat conjoint de la volonté de trois hommes clefs : le Khédive Ismaïl, Ferdinand de Lesseps et l’empereur Napoléon III. Objectif économique, en particulier pour les pays riverains de la Méditerranée, il est devenu un objectif stratégique pendant les deux guerres mondiales.


Dans un premier temps, de Lesseps négocie avec son ami Saïd le principe même du canal. Napoléon III y est favorable, mais certains Britanniques ne voient pas d’un bon œil ce projet qui pourrait préluder à une colonie française en Égypte ou une menace pour leur établissement en Inde (or l’expérience a montré qu’en 1880, 80% des vaisseaux qui utilisent le canal sont d’origine britannique !). Ils réussissent à susciter l’hostilité de la Sublime Porte, qui mettra onze ans à ratifier le firman donnant son accord à la construction, qui était d’ailleurs largement commencée.


Le voyage de l’impératrice Eugénie à Constantinople aura contribué à sortir de la crise. Malgré d'importantes difficultés techniques, car ce chantier est une grande première, les travaux sont menés à bonne fin :

http://caucasekersco.blogspot.fr/search/label/a%2036%20-%20LE%20CHANTIER%20DU%20CANAL%20DE%20SUEZ

Mais il faut aussi peser l’influence de l’Émir Abd el-Kader, dont l’autorité est grande chez les Arabes, et qui apporte son soutien sans réserve à Ferdinand de Lesseps en janvier 1863, avant de partir pour la Mecque. De Lesseps lui avait rendu visite lorsque l’Émir était en résidence surveillée à Pau. Voici la traduction de la lettre adressée à de Lesseps.




 Bien entendu, l'Émir Abd el-Kader et l'Imam Chamyl étaient présents le jour de l'inauguration.



 Remarque : À la demande de Ferdinand de Lesseps, le peintre Édouard Riou (1833-1900), futur collaborateur de Jules Verne chez l’éditeur Hetzel, et illustrateur des œuvres d’Alexandre Dumas, exécuta L’Album de l’Impératrice : Voyage pittoresque à travers l’isthme de Suez. Cet album rassemblait des aquarelles d’après nature retraçant et commentant l’inauguration du canal de Suez, depuis les cérémonies religieuses du 16 novembre 1869 jusqu’à la traversée de l’isthme du 17 au 20 novembre. Riou a également réalisé cette représentation de la manifestation inaugurale, tableau monumental aujourd’hui exposé au musée national du Château de Compiègne.

Autre remarque :  Qui était l'imam Chamyl* ?

http://caucasekersco.blogspot.fr/search/label/3%20-%20LE%20LION%20DU%20DAGHESTAN

Dernière remarque, mais non la moindre : les 44% des actions souscrites par Saïd (dans cette compagnie franco-égyptienne) ont été revendus au gouvernement anglais par  Ismaïl en 1875, alors que l’Égypte est au bord de la banqueroute. La compagnie devient alors franco-britannique, et l’Égypte devient peu à peu un protectorat anglais …


6 - AÏDA

Contrairement à ce que tout le monde raconte et répète sans savoir, il n'a jamais été question qu'Aïda soit représentée pour l'inauguration simultanée de l'opéra du Caire (1er novembre 1869) et du canal de Suez (17 novembre 1869). Au cours de l'année 1869, Ismaël Pacha avait établit des contacts avec Verdi pour que celui-ci compose une musique pour les festivités mais il n'était pas encore question d'un opéra, mais plutôt d'un hymne. C'est lors de son voyage en Égypte au cours de cette même année 1869 que Camille Du Locle, directeur de l'Opéra-comique de Paris, qui entretenait une relation à la fois professionnelle et amicale avec Verdi, rencontre l'égyptologue Auguste Mariette. Or, Mariette était très proche d'Ismaël Pacha. 

https://www.youtube.com/watch?v=BJGiq_wSo6I


Remarque : Lors de la réception d'un hôte illustre français par le Sultan d'Oman, l'orchestre militaire français ne connaissait pas l'hymne national omanais. Panique. Finalement, on choisit d'interpréter "Aïda", qui semblait l'hymne qui se rapprochait le plus du style arabe !


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INTERLUDE


 Conversation entre les deux sympathiques acteurs du film « OSS 117 - Le Caire nid d’espions » devant le canal :

Lui - C’est là qu’on voit la grandeur de votre civilisation. Construire un pareil ouvrage il y a quatre mille ans, il fallait être visionnaire !

Elle - Le canal a été construit il y a seulement quatre-vingt six ans.
 - Ah bon ! En tout cas, quelle fierté pour votre pays.

 - Le canal a un statut international. La compagnie qui le gère est en majorité anglaise. Rien de tout cela n’est égyptien.


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 7 - NATIONALISATION DU CANAL



Coup de tonnerre le 26 juillet 1956. Le Président égyptien Gamal Abd el Nasser, en visite à Alexandrie pour célébrer le cinquième anniversaire de la révolution, annonce son intention de nationaliser le canal de Suez et de geler tous les avoirs de la Compagnie universelle du canal de Suez. Sa décision survient après le refus de la Grande-Bretagne et des États-Unis de participer au financement de la construction du barrage d'Assouan. Pourquoi ?

C’est que, durant l'année 1956, la tension s’est accrue entre Israël et l'Égypte avec les raids menés par les combattants palestiniens (fedayin) sur le territoire israélien.


La concession de la Compagnie universelle du Canal de Suez était réputée expirer au terme d’une durée de 99 ans à partir de l’ouverture du canal à la navigation, soit le 17 novembre 1968, et la propriété du canal revenait alors automatiquement à l’État égyptien. Il suffisait d’attendre 12 ans de plus, pour que tout se passe  selon le droit international - ou égyptien - (ou alors négocier en douceur). Mais les choses ne sont pas si simples. Denis Lefebvre y a consacré un livre entier, puisé aux meilleures sources. ce qui nous incite à tenter de brosser un portrait de chacun des protagonistes de cette affaire.



Gamal Abdel Nasser - En 1956, il a 38 ans. En juin, il vient d’être élu le second président de la République d'Égypte. Ennemi de l’État d’Israël, et champion du panarabisme, l’occasion est rêvée pour mettre en œuvre son programme, qu’il a publié en 1953 sous le titre « La Philosophie de la révolution ».


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 Si on lit le petit livre de Gamal Abd el Nasser, on s’aperçoit qu’il ne s’agit pas d’un pamphlet haineux, mais les propos d’un jeune homme indigné, ce qui ne justifie pas la crainte de Guy Mollet de le voir devenir un second Hitler.




Ce qui dessert Nasser est de ne pas accepter que les migrants juifs - imposés par la Grande Bretagne - construisent « bessif » un État dans un environnement « arabe » (plutôt qu’en Ouganda).  Mais au XXIème siècle le problème des migrants n’est toujours pas résolu, qu’il s’agisse de migrants juifs en Israël ou de migrants arabes en Europe.


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La conférence de Bandung de 1955, où les pays du tiers monde choisissent le non-alignement sur les deux blocs (occidental et communiste) le confirme dans ses certitudes. Par ailleurs, il voit dans la construction du barrage d’Assouan un bienfait pour le peuple égyptien, mais le coût financier est trop important sans un emprunt. Le bloc anglo-saxon propose un prêt assorti de conditions, mais l’URSS propose le même prêt sans conditions.  

Nasser
De plus, en bon « marchand de tapis », Nasser décide de la reconnaissance diplomatique de la Chine par l’Égypte. Pour les Anglo-américains, c’en est trop, et ils retirent leur offre. C’est jeter Nasser - qui a le vent en poupe - dans les bras des Russes.

Il détourne alors le problème vers une justification de la « lutte anti-impérialiste ». Les Anglais, qui avaient racheté près de la moitié des actions de la Compagnie de Suez à l’Égypte en 1875, avaient pris de fait la tutelle de ce pays ; par ailleurs, les Français ont à faire face à l' insurrection des nationalistes algériens. Voilà deux cibles de choix que Nasser pense pouvoir paralyser.


L’ovation que lui fait le monde arabe le consacre grand vainqueur de ce bras de fer. Mais il ne sait pas que son initiative, à l’encontre d’un panarabisme de qualité, va initier une guerre de cent ans au Moyen Orient. Dommage que son tempérament excessif ait prévalu sur ses qualités naturelles. Nous sommes en 2015, il reste encore 41 ans pendant lesquels tout est possible ! 

Guy Mollet - Dans sa jeunesse, il a été « munichois », il le regrette amèrement, au vu du désastre qu’a été la soumission à Hitler. Il craint que Nasser ne devienne un Hitler égyptien : il faut l’écarter du pouvoir alors qu’il est encore temps.

Foncièrement attaché aux Israéliens, il redoute leur disparition du Moyen Orient. Enfin le détournement de l’avion personnel du sultan du Maroc (une « connerie » selon le Président René Coty, est une épine dans le pied du gouvernement français, car il contient des dirigeants nationalistes algérien, avec qui il ne devient plus possible de négocier quoi que ce soit de sérieux.

Dans la mesure où Nasser aide le FLN, affaiblir Nasser, c’est affaiblir le FLN. Enfin la classe politique française est favorable à une sanction militaire contre Nasser. Seulement l’Égypte n’a pas le potentiel économique et militaire de l’Allemagne d’Hitler. Donc la comparaison, si elle est tentante, n’est pas valable.



Anthony Eden - Lui, au contraire, était anti-munichois à la fin des années 30. Il n’est pas contre une sanction militaire envers l’Égypte de Nasser,  mais il a affaire à une opposition qui lui met des bâtons dans les roues. En Grande-Bretagne, l'opposition se déchaîne. Les travaillistes, et même une partie des conservateurs, dénoncent le caractère anachronique de cette politique coloniale, et le risque de rupture avec les pays du Commonwealth. Eden est hué à la Chambre des Communes, où les députés lui reprochent de les mettre devant le fait accompli, sans avoir consulté, comme le voulait la coutume, le chef de l'opposition.

 Les premières rétorsions de la Grande-Bretagne, réticente d'abord au conflit militaire pour ne pas compromettre leurs liens privilégiés avec le monde arabe, sont le gel de certains avoirs égyptiens à l'étranger puis le départ des pilotes européens expérimentés du canal. Comme ce sont les navires britanniques qui sont les plus nombreux à emprunter le canal, une expédition militaire a donc de bonnes chances d’être contre-productive. 



David Ben Gourion - L’achat de matériel de guerre russe par l’Égypte à la Tchécoslovaquie avant la nationalisation du canal a de bonnes chances de servir contre Israël, qui n’a pas les mêmes capacités en blindés et en avions de combat. Israël doit donc se préparer à lutter pour sa survie. Ben Gourion accepte même, mais pas de bon cœur, que son pays joue le rôle d’agresseur, un « prétexte » pour justifier le bon droit d’une expédition franco-britannique censée séparer les combattants. La ficelle est grosse, et même risquée si les alliés loupent leur débarquement. Cela conduit aux accords (secrets) de Sèvres, dont les originaux demeurent introuvables dans les archives française et anglaises.

Troisième feuillet du projet d'accord
Débarquement à Port-Saïd
Dwight Einshower - La position américaine est pour le moins spéciale : alors que ce sont les États-Unis qui ont déclenché l’affaire en refusant le prêt pour le barrage d’Assouan,  le vice-président américain convoque l’ambassadeur égyptien … pour lui demander d’éviter de raconter qu’ils sont mêlés à cette histoire. Et lorsque l’expédition a lieu, au moment de la campagne électorale américaine, un vent de panique du à la menace soviétique d’utiliser l’arme nucléaire (un très beau bluff !), conduit l’Amérique à attaquer la livre sterling de leurs allié britannique comme moyen de pression !

Portrait officiel d'Einshower

Nikita Kroutchev - L’URSS se dit être le champion de la liberté des peuples en ce qui concerne l'Égypte ; mais le Politbureau, fort de l’effondrement diplomatique occidental, en profitera pour attaquer impunément la Hongrie le 23 octobre 1956. La répression  sera sanglante, tandis que des dizaines de milliers de personnes se réfugieront en Europe de l'Ouest. Imre Nagy sera pendu quelques mois plus tard. L’inaction occidentale aura été totale. 

Nous ajouterons : sauf à Paris, ou une dizaine de milliers de jeunes patriotes ont mis spontanément le feu aux bureaux du Parti communiste et à ceux du journal l’Humanité, en signe d’avertissement à ceux qui auraient pu douter du caractère oppressif et brutal du régime communiste de l’époque.

Nikita Khroutchev

 De tout cela, il conviendra de noter quelques retombées inattendues du canal : chute du mur de Berlin, fin de la « guerre froide », une étape importante de la construction de l’Europe …. et construction du barrage d’Assouan ! Et même dédoublement du canal de Suez !!

http://caucasekersco.blogspot.fr/search/label/a%2037%20-%20D%C3%89DOUBLEMENT%20DU%20CANAL%20DE%20SUEZ

Comme quoi le canal aura fait couler beaucoup d’encre et l'encre beaucoup de sang. On ne peut que lui souhaiter de faire couler beaucoup d’eau.


Vue satellite du barrage d'Assouan

Remerciements à tous les contributeurs.